samedi 22 novembre 2008

Des chinois qui posent des lampes par terre. De dos.

mireilleL'œuf fait-il la poule ou la poule fait-elle l'œuf ? Le jardinier qui boite et qui boit boite-t-il parce qu'il boit ou boit-il pour oublier qu'il boite ? L'artiste subventionné reçoit-il des subventions pour pouvoir préparer ses créations, ou crée-t-il pour recevoir des subventions ?

Une fois n'étant pas coutume, je me suis laissé infliger ce soir un spectacle de danse contemporaine. Bien évidemment, j'avais envisagé l'hypothèse selon laquelle j'allais m'ennuyer ferme, mais bon, c'est ça la vie de couple, des fois il faut faire des concessions. C'était pire que ce que je craignais. A l'opéra de Lille, on donnait donc ce soir Comment dire "ici" ?, une proposition de Christian Rizzo. On notera que l'artiste lui-même, conscient de se foutre de la gueule du monde, ne parle pas pour sa création de spectacle ou de chorégraphie, mais, humblement, de proposition. Que nous a proposé Christian Rizzo ce soir ? En guise de danse, des chinois de dos qui marchent et qui posent des lampes par terre, dont un déguisé en gardien de parking. Pendant une heure. Ça peut paraître long, une heure pour marcher de dos et poser des lampes par terre, même pour des chinois, mais il faut bien voir que tous les gestes étaient exécutés trèèèèèèèès lentement. Et puis je réduis, ils n'ont pas fait que ça, par moments certains se munissaient de grands bâtons et traversaient lentement la scène avec. C'est tout. En guise d'accompagnement musical, car que serait la danse sans musique, on a pu distinguer trois phases. Un long début mêlant silences et bourdonnements désagréables. Une longue fin avec un mélange de bruits désagréables, genre crissements. Entre les deux, une phase plus courte, mais tout de même fort pénible, avec des grincements désagréables.

chabalL'art peut avoir plusieurs fonctions. Il peut se contenter, mais c'est déjà pas mal, de donner à voir du beau. Là non, des chinois qui marchent de dos en posant des lampes par terre, sans aller jusqu'à hurler à l'attentat esthétique, on ne peut pas considérer ça comme quelque chose de beau. L'art peut aussi servir de vecteur pour transmettre un message. Ici, c'est difficile à affirmer, mais il ne semble pas qu'il y ait réellement un message. Au mieux, il y en a un, mais alors force est de constater que sa transmission est un échec. L'art peut aussi inviter à réfléchir. Dans ce cas précis, la seule réflexion amenée consiste à chercher à répondre à la question qu'est-ce que je fous là ? Pas le qu'est-ce que je fous là ? métaphysique, avec des morceaux de sens de la vie à l'intérieur, non, le qu'est-ce que je fous là ? épidermique, le vulgaire, celui qui fait simplement se demander pourquoi on reste assis à cet endroit précis pendant une heure à regarder des chinois qui marchent de dos en posant des lampes par terre (allumées, avais-je omis de préciser) alors qu'il y avait quand même France-Australie à la télé. Avec Chabal, en plus.

lundi 17 novembre 2008

Crucification

Crucification n.f. accrochement malveillant de messie

life_of_brian_2En guise de préambule, j'inviterai tous ceux qui me croivent pas que des gens utilisent (quand même) le mot crucification à écouter le commentaire de la journaliste sur la vidéo qu'on peut trouver en cliquant sur ce lien.

En guise de puisambule, je rappellerai à tous ceux qui l'auraient oublié qu'il est un certain nombre de gens qui s'accordent sur l'hypothèse selon laquelle Jésus de Nazareth aurait été crucifié plus ou moins en 33 après lui-même. Ce supplice est connu sous le nom de crucifixion, et, pour ceux qui voudraient faire les originaux, le dictionnaire admet également le terme crucifiement. En revanche, et là je suis catégorique, la crucification n'existe absolument pas. Que des mécréants, incroyants ou autres infidèles s'amusent à parler de crucifiction, je veux bien encore l'envisager, mais quand j'entends évoquer la crucification du Christ, je m'insurge. Sans faire une crucifixation fixation là-dessus, mais quand même.

En guise de postambule, je rajouterai ceci : always look on the bright side of life.

samedi 27 septembre 2008

Résoudre la "crise" : la notion de "capitalisme régulé" a-t-elle un sens ?

Soyons clair, soyons bref : la série de discours des dirigeants politiques et économiques sur un capitalisme "régulé" opposé à un capitalisme "sauvage" ou "fou" n'a pas vraiment de sens, et se fonde soit sur de la mauvaise foi, soit sur une ignorance de ce qu'est le capitalisme.

Si on lit des grands théoriciens de l'économie, qu'il s'agisse d'Adam Smith, auteur de la Richesse des Nations au 18ème siècle ou de Marx, ils seront d'accord pour soutenir que, par nature, le capitalisme est sauvage ou plutôt, que l'expression n'a aucun sens, puisque le capitalisme régulé n'existe pas. Adam Smith écrit par exemple:

adam_smith2"Nous nous reposons en toute sûreté sur la liberté du commerce, sans que le gouvernement s'en mêle en aucune façon (...). La quantité de chaque marchandise que l'industrie humaine peut produire ou acheter dans un pays s'y règle naturellement sur la demande effective qui s'en fait" (Livre IV, ch. 1).

On trouve ici la fameuse "théorie de la main invisible" selon laquelle la recherche des intérêts particuliers profite "naturellement" ou mécaniquement, tout seul quoi, à l'intérêt général. En bref, il y a l'idée que le capitalisme refuse toute intervention de l'Etat. Le texte précédent insiste sur la "liberté du commerce", c'est-à-dire l'idée que l'économie de marché ne doit être soumise à aucune règle et intervention d'un "gouvernement" ou Etat, comme le réclame Nicolas Sarkozy. Ou encore, Jean-Marc Sylvestre, éternel journaliste économique libéral, qui s'est mis à parler de "morale".

C'est que, comme l'explique Marx lui-même, le capitalisme a ses propres règles ou plutôt, ses propresmarx2 mécanismes. Quand Nicolas Sarkozy parle de "déviation des mécanismes de l'économie de marché", il a bien tort! Les mécanismes fonctionnent et ont fonctionné comme ils devaient le faire. L'idée c'est simplement que le capitaliste (ou celui qui possède les moyens de production: l'usine, le produit fini, etc.) cherche à dégager une plus-value en vendant son produit plus cher qu'il ne lui coûte et notamment, que ne lui coûte la force de travail des ouvriers ou salariés ou employés. En bref, le système capitaliste est fondé sur des lois économiques qui n'ont rien à voir avec la justice. Le salaire minimum, par exemple, n'a pas à être fixé sur un minimum vital que réclament ces salauds de pauvres. Le salaire minimum est simplement fonction de la loi de l'offre et de la demande, comme le rappelle Adam Smith dans le texte précédent.

D'ailleurs, ces "injustices sociales" n'ont pas dérangé les dirigeants tant que leurs intérêts n'étaient pas touchés. Aujourd'hui, un François Fillon nous parle de "solidarité nationale", de "se serrer les coudes", parce que les gars qui s'en mettaient plein les fouilles grâce à ce système risquent aujourd'hui la ruine. Mais tant que ces 2 % de gars profitaient de 80 % des richesses, ça les dérangeait pas. Tant que le système ne nuisait qu' à ses salauds de pauvres, c'était normal. La crise actuelle n'est pas une déviation du système, c'est une conséquence logique. Simplement, elle ne plaît plus, elle semble "anormale", parce qu'elle nuit à ceux qui, jusque là croyaient le système bon, dans la mesure où ils en profitaient.

Ce qu'on voit, c'est que, depuis le début, le système est mauvais.

dimanche 27 juillet 2008

Pas de réduction pour les militaires

morinFrançois Fillon a annoncé récemment les détails de la réforme de la carte militaire concoctée par le Ministre de la Défense Hervé Morin. 83 sites ou unités militaires vont être supprimés à partir de 2009. L'effort est louable, messieurs du gouvernement, mais la technique n'est pas adaptée. Ce n'est pas en supprimant son habitat que l'on parviendra à éradiquer le militaire, l'animal a subi un entraînement des plus sévères pour parvenir à s'adapter en milieu hostile.

"L'inutilité du militaire est un fait connu que nul n'ose plus discuter en notre siècle de dialectique progressifiante", énonçait Boris Vian il y a tout juste soixante ans, avant de proposer, catégorie par catégorie, quelques moyens de destruction des militaires. Là encore, l'intention était louable, mais la mise en application de ses préconisations était si peu aisée qu'en notre siècle de progrès dialectisant nous en sommes encore là où nous en sommes ce qui est fâcheux.

C'est pourquoi je me permettrai messieurs du gouvernement de vous suggérer une nouvelle méthode de travail qui me semble présenter un potentiel prometteur pour s'avérer définitive, méthode que j'intitulerai guerre totale inversée, intitulé qui présente lui-même l'avantage de pouvoir être aisément résumé par les journalistes par l'acronyme GTI.

caserneLe principe en est simple, le voici. Il s'agit dans un premier temps d'identifier une grande puissance concurrente, amie ou ennemie, peu importe, l'essentiel étant qu'elle dispose d'une force armée peu ou prou équivalente et qu'elle soit disposée à user de la même méthode pour aboutir au même résultat. D'accord sur le principe, les deux puissances devront ensuite s'entendre sur le choix d'un champ de bataille, de préférence désert afin d'éviter tout dommage collatéral. Vient ensuite la GTI elle-même. Il s'agit alors de suivre une règle simplissime, dite règle d'inversion, qui consiste à faire donner les ordres de bataille aux éplucheurs de patates et à mettre les gradés en première ligne. Les maréchaux précéderont les généraux, eux-mêmes suivis de près par colonels, commandants, capitaines et autres lieutenants.

S'il y a fort à parier que le degré d'ineptie des ordres concernant les mouvements de troupes ne sera que faiblement affecté par le changement de décideurs, le bénéfice majeur de la règle d'inversion réside en ceci que, alourdis par leurs décorations et leur inexpérience du terrain, les gradés des deux camps auront tôt fait de s'entretuer de manière irrémédiablement létale. Lorsque sergents et caporaux auront également fini par succomber, il ne restera plus aux simples troufions des deux équipes qu'à revêtir les habits civils qu'ils auront pris soin d'emporter dans leur paquetage. Sans porteur de bâton pour leur intimer l'ordre de cogner sur ceux d'en face, ils pourront alors librement aller cultiver leur jardin, ou encore jouer à la pétanque car il fera beau.

lundi 7 juillet 2008

Epsilonesque

Epsilonesque adj. d'une insignifiance aux limites de l'insondable

estrosiEn mathématiques, epsilon désigne une quantité infinitésimale qui tend vers zéro.

Par suite, l'adjectif epsilonesque qualifie ce qui est dérisoire, anecdotique, tellement insignifiant que le simple fait de le mentionner relève de l'imposture intellectuelle. Ainsi, on pourra dire par exemple que le sort des habitants du Darfour revêt une importance epsilonesque pour celui qui souffre de son ongle incarné.

jeudi 19 juin 2008

Plussoyer

Plussoyer v. intr. XXIe s., marquer son approbation

ChansonPlusBifluoreeS'il ne devait y avoir qu'un seul verbe qu'existe pas et qu'on utilise quand même sur internet, ce serait le verbe plussoyer. Il est en effet communément utilisé dans moult fora par les intervenants souhaitant exprimer leur accord avec les propos formulés par l'intervenant précédent. Le verbe plussoyer est en fait issu de l'habitude qui avait été prise précédemment de marquer ce même accord par un simple +1. En effet, l'internaute, tantôt fainéant, tantôt illettré, rechigne parfois à utiliser des expressions compliquées (par exemple "grâces te soient rendues d'avoir si bien exprimé le sentiment que j'avais dans le dedans de moi-même*" ou même "je suis bien d'accord avec toi"). D'où le +1. Mais, tantôt pris d'une frénésie vocabulistique, tantôt néologiseur, l'internaute aime parfois à utiliser des mots entiers, sinon des phrases, quitte à ce qu'ils existent même pas. D'où je plussoie en lieu et place du froid +1.

Il convient de noter que la conjugaison du verbe plussoyer est trouble. On pourrait supposer qu'elle se calque sur celle du verbe soyer, mais comme ce dernier est lui-même un mot qu'existe pas (mais qu'on utilise quand même)...

A défaut d'employer le verbe plussoyer (26300 occurrences sur google) on peut sans vergogne se rabattre sur sa variante plussoir (1480 occurrences), qui elle même admet des graphies alternatives telles que plusseoir (116), pluseoir (1), plusoire (4) ou plussoire (410).

* L'expression dans le dedans de moi-même est (c)sonia, dont les chroniques me font souvent bien rire.

mardi 10 juin 2008

Roland Garros / Euro 2008 : qu'est-ce qu'un arbitre ?

arbitre

En suivant un peu la quinzaine de Roland Garros, on se rend compte d'une chose étrange : le tennis est le seul sport (à ma connaissance) où la décision des joueurs l'emporte sur le jugement de l'arbitre. En effet, quand une balle est criée "faute" (tellement fort qu'on croirait que le juge de ligne vient de perdre père et mère), certains joueurs peuvent contester ce jugement, comme on le voit encore mieux au football, où les uns et les autres font des pieds et des mains pour que l'arbitre revienne sur sa décision : "j'te jure, putain! C'est pas moi qu'ai niqué Mounia! C'est un sosie!"

Au tennis, l'arbitre de chaise peut tout à fait confirmer ou infirmer le jugement, et sa décision est en général, souveraine. Néanmoins, si un joueur accorde le point à son adversaire, même l'arbitre de chaise se soumet à sa décision. Par exemple, on peut souvent voir un service ou un coup jugés "faute". L'auteur conteste, et demande que l'on vérifie la marque. Si son adversaire s'approche de la ligne et la déclare "bonne", notamment en effaçant la marque avec le pied, l'arbitre se plie à la décision du joueur, sans même se déplacer. En bref, au tennis, l'arbitrage des joueurs, quand il est effectué au bénéfice de l'adversaire, prévaut sur les décisions de l'arbitre.

footIl n'en est pas du tout de même au football (ni dans aucun autre sport) : les décisions de l'arbitre sont souveraines et indiscutables, même si elles ne sont pas indiscutées : si un arbitre met un carton rouge à un joueur, l'équipe adverse ne peut pas décider d'annuler ce carton. D'abord, parce que ça ne se passe jamais comme cela. On n'a jamais vu une équipe contester un carton remis à l'adversaire. A vrai dire, même quand on sait pertinemment que le carton est injustifié, on se tait, trop content que l'arbitre ait affaibli l'adversaire. En revanche, quand la même décision est prise à l'encontre de sa propre équipe, on crie au scandale (et on a peut-être raison). Ensuite, même s'ils le voulaient bien les joueurs ne pourrait pas défendre leurs adversaires contre un arbitrage injuste. Au football, la décision de l'arbitre est absolument souveraine : si un joueur déclarait : "non, il ne m'a pas touché, vous pouvez annuler son carton", cela ne changerait rien. Ce ne sont pas les joueurs qui dictent ses décisions à l'arbitre, contrairement à ce qui se passe au tennis, pour une balle jugée "faute". Etonnant, non ?

Qu'est-ce qu'un arbitre ? C'est le garant de la justice: le tiers désigné ou reconnu par les parties (ou équipes), pour trancher en cas de litige ou de désaccord sur l'application des règles. Par nature, l'arbitre est neutre, et c'est la raison pour laquelle il est d'une nationalité différente des deux équipes en jeu, au football. Sa décision ne doit pas aller dans l'intérêt particulier d'une des équipes ou parties, mais elle doit donner à chacun selon ses mérites, conformément aux règles. Si les joueurs étaient les arbitres, on imagine qu'ils voudraient toujours juger selon leur intérêt, si bien qu'aucune décision ne serait prise. C'est pour cela qu'il faut un arbitre; si on demande aux parties intéressées de décider, elles affirmeront indéfiniment le contraire l'une de l'autre, conformément à leur intérêt. C'est pour cela que l'arbitre a toujours raison, non pas parce qu'il dit vrai, mais parce que c'est l'arbitre: quelle que soit sa décision, on doit s'y soumettre, parce que c'est grâce à lui que le jeu peut avancer.

On est donc surpris d'entendre ceux qui justifient les nouvelles lois pénales, comme la rétention de sureté, en se référant à la souffrance des victimes. La justice est rendue par le juge, au nom de la société, et doit donner à chacun selon ses mérites. Placer les victimes et leur souffrance, aussi profonde et compréhensible soit-elle, au centre du débat judiciaire, ce n'est pas rendre la justice, c'est satisfaire l'intérêt d'une partie. C'est un peu comme si une équipe, mettons l'Italie, était menée 1-0, et que l'arbitre, sans aucune raison, lui offrait un penalty, simplement parce que l'Italie serait triste de perdre le match.

tennisQuant à cette bizarerie du tennis, on l'expliquera par le fait que les joueurs de tennis sont vraiment fair-play (de l'anglais "fair", qui signifie "juste"). Les arbitres semblent savoir que les joueurs ont le souci de respecter les règles et de gagner sans tricher. Ils cherchent la performance et non pas la victoire. Et quand on gagne selon les règles, on est fort. Au contraire, y a un genre de mauvaise foi et de tricherie perpétuelle au football : les arbitres savent que les joueurs ne feront rien d'autre que de défendre leur intérêt particulier, même si les règles leur sont contraires. Malgré les grandes déclarations, aucun joueur de football n'est fair play : il faut les voir se tordre de douleur, simplement parce qu'un joueur adverse les a frôlés. On dirait que les joueurs de football tentent leur chance à chaque fois, comme des gamins, sans jamais se sentir responsables des règles du jeu, qu'ils abandonnent à l'arbitre, ce qui ne les empêche pas de le contester perpétuellement. C'est peut-être pour toutes ces raisons que l'Italie est championne du monde...

mardi 3 juin 2008

Annulation de mariage : la virginité est-elle une "qualité essentielle" de la personne ?

MarieeL'actualité de la semaine, c'est bien sûr la polémique autour de la décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Lille, qui a prononcé l'annulation d'un mariage sur la demande du mari, au motif que son épouse lui avait menti : elle n'était pas vierge! La coquine... Toute la classe politique se dit consternée, parce qu'il s'agit d'une régression dans le statut de la femme, sauf Rachida Dati, qu'a dit au début que ça protégeait la femme. Mais elle n'a jamais expliqué en quoi répudier sa femme permettait de la protéger. Du coup, elle demande au tribunal de revenir sur sa décision, comme quoi, elle sait vraiment de quoi elle parle.

Sur le fond, on peut en effet s'opposer à l'esprit de la décision. Au mieux, il s'agit de réduire une femme à un objet, comme une voiture ou un appartement, pour lesquels on peut annuler le contrat de vente pour "vice caché", sachant que l'on peut jouer ici sur les mots et l'ambiguïté du terme "vice". Au pire, on peut penser que des pratiques et traditions propres à une religion s'imposent à la république laïque. Les deux époux étant musulmans, la justice Française ne fait que cautionner des relations homme-femme décrites dans le Coran, où l'on parle bien souvent de "prisonnière", pour nommer l'épouse, et énoncer les droits de l'époux à son égard. Et puis, le mari, lui, il était vierge ? On lui a demandé de l'être ? "Mais non, moi je suis un homme! C'est elle la tentatrice qui a le diable dans le corps!"

Sur la forme, et la lettre, la décision est assez incontestable : elle n'a pas été prononcée pour des motifs religieux, mais bien au nom de l'article 180 du code civil, qui dit : "s'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage". La mariée a bien menti sur sa virginité, si bien que le consentement du mari peut être considéré comme non-libre, sous-entendu, pas assez bien éclairé pour être libre. On peut donc se dire "consterné", il n'empêche que le juge ne fait qu'appliquer la loi, selon la marge d'interprétation que lui laisse le texte. On ne va quand même reprocher au juge d'interpréter la loi! Certes, il y a des lois parce que les hommes sont imparfaits, mais il y a des juges pour adapter les règles générales aux cas particuliers. On ne passe pas en justice comme on passe son code de la route, et il serait tout aussi discutable qu'un juge applique un loi de manière aveugle et irréfléchie, ou encore "mécaniquement".

platon2C'est le texte qu'il faudrait donc revoir, pour plus tard, plutôt que la décision du juge. Et tout le problème de ce texte tient dans la notion de "qualité essentielle de la personne". Comme souvent, c'est flou ou ambigu. La jurisprudence précise ce qu'on peut entendre par "qualités essentielles de la personne" : "la poursuite d'une relation extraconjugale", "divorcé", "condamné de droit commun", etc. Bref, on n'est pas plus avancé. Qu'est-ce qu'une qualité essentielle ? Depuis la philosophie antique, et notamment chez Platon et Aristote, l'essence d'une chose, c'est sa nature; ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est, et sans quoi, elle n'est plus. Par suite, on distingue deux genres de qualités : d'une part les qualités "essentielles", relatives à l'essence d'une chose. Par exemple, le fait d'avoir des pieds est une qualité essentielle d'une table. Si on lui retire,ce n'est plus une table (mais une planche). D'autres part, il y a les qualités "accidentelles", qui ne constituent pas la nature même de la chose. Par exemple, le fait qu'une table soit en bois, plutôt qu'en fer, n'empêche pas qu'elle soit une table. Le problème, c'est que si je parle de cette table-ci, en particulier (que mes parents l'ont acheté pour mon entrée au lycée), on peut considérer que le fait qu'elle soit en bois soit une qualité essentielle de cette table, parce que c'est bien cette qualité qui fait de cette table ma table, et pas une autre, celle sur laquelle j'ai passé du temps, qui ne ressemble à aucune autre, etc. On comprend donc que, même en métaphysique (ou en philosophie), la notion d'essence pose des problèmes.

Qu'en est-il pour cette épouse ? Le même problème se pose : quand on parle des "qualités essentielles de la personne", il faut savoir s'il s'agit de la personne humaine en général, ou de cette personne-là, en particulier. S'il s'agit de cette personne-là, la question est de savoir pourquoi son futur mari veut l'épouser elle et pas une autre. Est-il amoureux d'elle ? Et si oui, pourquoi ? Parce qu'elle est vierge ? Si ce n'est que cela, il y en a plein d'autres, des vierges. Ce n'est donc pas une qualité essentielle de cette femme, qui la distingue de toutes les autres. On peut aimer une personne pour son caractère, sa gentillesse, sa beauté même, si on veut. Ce qui devrait compter, c'est tout ce qui fait la particularité de la personne. Donc, pas la virginité.

S'il s'agit de la personne humaine en général, peut-on dire que la virginité est une qualité essentielle ? Est-on moins humain parce qu'on n'est pas vierge ? Ou moins femme parce qu'on n'est pas vierge ? La femme serait donc un simple objet sexuel/future mère, qu'il faut acheter neuf et pas d'occasion ? Un avocat de mes amis a eu l'excellente idée de limiter les qualités essentielles à l'intimité. On ne peut pas reprocher à une personne d'avoir menti sur son intimité, dans la mesure où, par définition, ça ne regarde personne d'autre qu'elle. Voilà ce qui est essentiel à la personne humaine : c'est de ne pas la réduire à un objet et un animal, et considérer qu'il y a des choses qui n'appartiennent qu'à elle, en bref, qu'elle est libre. Quant à savoir où s'arrête l'intimité, notre ami avocat la limite à la santé publique, histoire de ne pas tout mettre dans le même panier. A partir du moment où le secret sur ses "qualités" intimes ne mettent personne en danger, elle n'est pas tenue de les révéler.

Voilà quelques idées pour réformer le code civil, sans doute...

mercredi 14 mai 2008

Inatteignable

Inatteignable adj., pas possible à atteindre

mancha_brelC'est quoi, le problème avec inaccessible ? Pourquoi y a-t-il de moins en moins de gens pour consentir à l'utiliser ? Les mots en -ible sont-ils donc si horribles effroyables qu'il faille inexorablement les remplacer tous ? Allons-y carrément, alors, et dans la joie! Ayons des soifs inéteignables plutôt qu'inextinguibles, pétons des câbles plutôt que des fusibles, rendons faisable tout ce qui est impossible!

... non mais franchement, c'est pas croyable!

Brel, qui tentait d'atteindre l'inaccessible étoile, se serait-il abaissé à tenter d'accéder à l'étoile inatteignable ???


Soyons sérieux, que diable!

dimanche 4 mai 2008

Benoîte Rencurel 1 - Galilée 0

benoite1L'église vient de reconnaître officiellement une série d'apparitions de la vierge à une dénommée Benoîte Rencurel au Laus, apparitions contemporaines de Louis XIV, ce qui prouve bien que l'église ne s'y prend pas avec légèreté pour reconnaître miracles et autres tours de magie, vu qu'elle met trois siècles avant de se prononcer. Par cette reconnaissance, elle instaure de fait un nouveau lieu de pèlerinage officiel en France, après Lourdes. La France, aux racines chrétiennes si chères à Nicolas Sarkozy, peut à raison s'enorgueillir de cet évènement.

Après trois siècles d'enquête, l'église a donc décidé qu'il était légitime de supposer vraies les allégations de cette personne à laquelle la vierge serait apparue régulièrement pendant 54 ans, lui intimant l'ordre de bâtir une église. J'imagine qu'ils ont dû recouper les témoignages, interroger les amis de ladite Benoîte afin qu'ils attestent de sa bonne moralité, enfin bon, tout ça c'est de la procédure super sérieuse... D'ailleurs, pour les apparitions, c'est bon, tout est OK, validé, garanti cent pour cent authentique, mais attention, rien n'est fait pour la béatification, il faut encore achever des études pour vérifier la valeur du combat [de Benoîte] contre le démon. Ça rigole pas, on vous dit, on prend bien le temps de tout vérifier.

galileoDonc l'église met trois siècles pour accepter l'idée qu'une paysanne ait réellement discuté à plusieurs reprises avec une femme morte depuis largement plus de mille ans... Ça peut paraître long... En même temps, la même église a bien mis un siècle de plus pour admettre que Galilée n'avait peut-être pas dit que des conneries, et pourtant, ça, c'était quand même un peu plus facilement vérifiable, alors bon...

jeudi 10 avril 2008

Mothra contre Léguman

Avant tout, rappelons que Mothra est la mite géante qui se frite avec Godzilla et que Léguman est le super-héros de notre enfance, créé dans le Téléchat de Roland Topor.

mothraCeci étant posé, il devient nécessaire de répondre à cette question : pourquoi ce titre ? Et bien parce que c'est plus rigolo que "La nature contre Monsanto", mais en fait ça veut dire la même chose. Il y a quelques semaines, des chercheurs révélaient qu'une race de papillon avait réussi à développer une résistance accrue (et pas qu'un peu, en gros la dose létale a été multipliée par 500!) à une toxine produite, dans le but de protéger les récoltes, par du coton génétiquement modifié. Cette toxine Bt (Bacillus thuringiensis) est aussi notamment produite, dans le même but, par des maïs OGM, et l'innocuité de sa prolifération et de son accumulation dans l'environnement n'a pas été démontrée, il y aurait même plutôt des études qui tendent à prouver le contraire. Mais bon, ce sont là des batailles d'experts, nous on n'y connait rien, on peut pas trancher...

legumanCela étant, devant ce genre de cas, la question ne se pose à mon sens même plus en termes de principe de précaution. On se pose en effet la question du principe de précaution quand il s'agit de mettre en balance le bénéfice certain d'une innovation et ses dangers potentiels. Or ici, même si l'on considère que les dangers ne sont que potentiels, le bénéfice apparaît de moins en moins certain, car les plantations sont encore moins protégées contre le parasite qu'elles ne l'étaient auparavant.

Y a-t-il lieu de se réjouir de ce qu'on peut considérer comme une défaite de Monsanto et consorts contre lalamarck nature (ou de Léguman contre Mothra) ? Rien n'est moins sûr. Car cela était somme toute fort prévisible. En effet, on le sait depuis Lamarck, la fonction crée l'organe. Il était donc inéluctable qu'un jour ou l'autre certaines espèces d'insectes développent ce type de mutation, et il y a fort à parier qu'Helicoverpa zea ne soit que la première d'une longue série. Si cela était inéluctable, on peut supposer que les vendeurs de semence OGM l'avaient prévu... et on peut même supposer qu'ils l'avaient espéré. Car quel sera le seul recours face au problème posé par la multiplication de ce genre de cas ? Certainement pas un retour global à l'agriculture biologique, car les parasites seront devenus beaucoup trop forts. Le seul recours sera vraisemblablement la fuite en avant, le développement de nouveaux OGM, qui produiront de nouveaux insecticides, auxquels les parasites s'adapteront à leur tour, et ainsi de suite... Voilà qui augure d'une belle prospérité pour les bienfaiteurs multinationaux de l'humanité...

Finalement, la nature est peut-être bien la meilleure amie de Monsanto... mais pas dans le sens où ils cherchent à nous le faire croire.

mardi 1 avril 2008

Michel Fourniret est-il un monstre ?

fourniret

Bon, c'est sûr, il a pas vraiment fait avancer la recherche sur le cancer, et c'est pas lui qu'a créé "Médecins sans frontières"... en bref, on sait qu'il a plutôt fait des choses mauvaises. C'est l'affaire de la semaine : l'ouverture du procès de Michel Fourniret et Monique Olivier jeudi dernier, 27 Avril. Lui, pour 7 viols et meurtres, elle, pour un meurtre et quelques complicités. C'est l'affaire de la semaine, parce que la mode est aux faits divers et aux serial killers, notamment depuis les débuts de Faites entrer l'accusé! A tel point que France2 a même innové en mettant le dimanche à l'antenne une émission carrément malsaine : Faits divers, le mag. En gros, c'est le magazine détective à la télé. Ah! Le service public! La messe à 11 heures, on emmène les gosses faire une grande ballade en forêt et au retour, un bon bol de soupe Knorr devant le programme préféré de la famille : Faits divers, le mag. Rien de mieux qu'un bon homicide bien glauque avant de reprendre le boulot! Les gens adorent les histoires de meurtre en général et de serial killer en particulier. On est fasciné, à commencer par Stéphane Bourgoin, docteur ès-tueurs en série, qui intervient souvent comme expert à la télé, et possède sa librairie spécialisée dans les meurtres.

Pourquoi est-on si fasciné ? Parce que les actes qu'on nous décrit sont inimaginables, monstrueux. Comment ont-ils pu faire cela ? Durant les premiers jours du procès, on a montré le caractère proprement inhumain de Michel Fourniret : incapable de la moindre émotion, il a révolté les familles de victimes, qui voulaient l'entendre s'expliquer, voire s'excuser : "Euh, pardon, je m'excuse, j'ai pas fait exprès de violer 7 filles et de les tuer ; oui, je regrette... Je pense aux parents..." Oh! Les gars! C'est "l'ogre des Ardennes"! Vous croyiez p'têt' pas qu'il allait s'en vouloir!

Oui... parce que c'est en ces termes que l'on parle de Michel Fourniret : "l'ogre des ardennes", qui aurait scellé un "pacte diabolique" avec Monique Olivier. A propos de sa dernière victime qui a réussi à s'échapper, Fourniret a déclaré : "sinon, je l'aurais démembrée avec une jouïssance infinie". Bon, c'est sûr ; il a pas l'air très très normal. Mais bon, y a qu'à lui montrer qu'on peut jouir infiniment autrement ; je sais pas moi, en achetant une robe Dior, par exemple. Bref, Fourniret, c'est le diable, la bête, l'inhumain, le mal absolu : un monstre. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'il n'est pas "normal" (la définition médicale du monstre, c'est l'idée d'une malformation). Il y a nombre d'éléments qui nous permettent d'aller dans ce sens, ne serait-ce que la jouïssance prise à démembrer une jeune vierge de 14 ans. C'est sûr, Fourniret est un pervers, c'est-à-dire que les tendances de tout individu normal, ont, chez lui, été détournées de leur objet naturel. Normalement, le plaisir sexuel est pris dans le rapport sexuel ; chez le pervers, la libido se satisfait autrement, par exemple dans le meurtre. On se satisfait, on se fait du bien, on se fait plaisir en voyant l'autre mourir. Voilà, c'est dit : Fourniret, c'est l'Autre, le démon, celui dans lequel on ne se reconnaît pas et qui, pour cette raison, fascine. En même temps, c'est assez facile de voir quelque chose d'anormal dans les crimes les plus effroyables. Ne peut-on admettre que, tout pervers qu'il soit, Fourniret reste un être humain ?

kantHannah Arendt, notamment, grande philosophe du 20ème siècle, qui n'a pas été sans fricotter avec Heidegger, a commis un ouvrage que tout le monde devrait lire, Eichmann à Jérusalem, et qui pose la question du mal. Comment un être humain peut-il commettre de telles atrocités ? N'en déplaise à certains, on peut faire le parallèle entre Fourniret et les criminels nazis, dans la mesure où c'est toujours la même question qui se pose : comment peut-on faire cela? Or, H. Arendt défend une thèse qui, en son temps, a choqué, celle de la banalité du mal. Avant, déjà, Kant (1724-1804) a posé la question du mal dans La religion dans les limites de la simple raison. Il affirme qu'on ne peut pas définir l'homme comme "un être diabolique", ce qui signifierait qu'il est absolument mauvais et ne peut faire que le mal. En effet, si une volonté sainte est la volonté d'un être qui serait nécessairement déterminé à faire le bien, une volonté diabolique est celle d'un être nécessairement déterminé à faire le mal. Or, l'homme n'est ni un Dieu, ni un Démon et ce, parce qu'il n'est pas déterminé, mais libre, et affirmer qu'un homme est un démon, c'est prétendre qu'il ne peut pas faire autrement que d'agir mal. Par conséquent, il ne l'aurait pas choisi. Par suite, on lui retire toute responsabilité. Autant dire que ce n'est plus de sa faute. Or, si l'on veut tenir un homme responsable de ses actes, on doit admettre qu'il est libre et donc, qu'il peut choisir entre le bien et le mal: "Toute mauvaise action, écrit Kant, peut et doit toujours être jugée (...) comme un usage originaire de son arbitre. Il aurait dû ne pas l'accomplir, quelles qu'aient été les circonsatnces".

C'est aussi dans l'idée d'humaniser le criminel que Hanna Arendt rend compte du séjour d'Eichmann àarendt Jérusalem. Adolphe Eichmann a été l'organisateur, entre autres, de la solution finale, qui a conduit à l'extermination de 6 millions de juifs (donc, il a fait tuer à peu près un million de fois plus de gens que Fourniret). Réfugié en Amérique du Sud, il s'est fait enlevé par les services secrets israëliens en 1960, a été jugé en 1961 et pendu en 1962. Hanna Arendt a assisté à son procès à Jérusalem. Dans l'ouvrage qu'elle a écrit après cet événement, elle se refuse à présenter Eichmann comme un monstre. Certes, les crimes qu'il a commis sont "inhumains", mais pas lui. H. Arendt décrit l'homme comme quelqu'un de médiocre, terne, un fonctionnaire soucieux de bien faire son travail. On s'étonne parfois à trouver que M. Fourniret ressemble à "monsieur-tout-le-monde", qu'il a une vie "normale", comme si cela était incompatible avec ses crimes. Ce que nous apprend H. Arendt, c'est que le pire des criminels est toujours monsieur-tout-le-monde.

Il est très rassurant de penser que les hommes normaux que nous sommes ne sont pas capables de commettre des crimes atroces. C'est pour cette raison que le criminel est décrit comme un "monstre", comme un Autre. Mais la vérité, c'est que ceux qui commettent les pires atrocités sont des hommes normaux, c'est-à-dire que tout le monde pourrait le faire. L'expérience de Milgram, poursuivie dans les années 1960, et reprise dans le film I comme Icare, a ainsi montré que 60% des gens sont prêts à obéir à un ordre qui émane d'une autorité qu'ils jugent légitime, quand bien même il s'agirait de tuer quelqu'un. La plupart des gens sont donc susceptibles de commettre des actes criminels, ou plutôt nous tous, qui nous considérons comme "normaux", ne sommes pas à l'abri. Le monstre n'est pas l'autre, c'est aussi nous. Le mal fait partie de l'humanité.

Qui se passionne pour les faits divers ? Qui passe du bon temps à regarder Les experts, où des corps disséqués sont réduits à l'état d'objet et où le plaisir vient de la fascination pour des meurtres plus sanglants les uns que les autres ? Qui ralentit sur l'autoroute lorsqu'il voit des sirènes de pompier, en espérant voir des accidents mortels ? Qui ? C'est l'homme normal. Nous tous. On a dit que le tueur pervers était monstrueux, parce qu'il se satisfait, se fait du bien, se fait plaisir en voyant l'autre mourir. Et nous, pourquoi on aime bien les faits divers et les serial killers ? Ce serait pas pour les même raisons ? Sauf qu'on se dit que ce n'est pas nous, de même qu'on aime Les experts, parce que les morts y sont tellement réduits à l'état de choses, qu'ils nous permettent de nous rassurer : on essaie de se dire qu'on ne mourra jamais, que ce n'est pas nous. Ces pulsions de mort que l'on voudrait si étrangères à nous-mêmes, sont celles-là même qui nous pousse à suivre l'affaire Fourniret. Certes, c'est un pervers, mais c'est aussi un homme. Il serait bon de le savoir si l'on ne veut pas, un jour, faire les mauvais choix.

mardi 18 mars 2008

Chantal Sébire : faut-il légaliser l'euthanasie ?

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Pensez comme on peut avoir honte parce qu'on s'imagine être défiguré par un point noir mal placé ; pensez comme on peut se plaindre de douleurs insupportables, lorsqu'on a mal à la tête ou qu'on s'est égratigné le doigt. Pensez donc au malheur absolu de cette femme, dont le visage difforme et tombant lui fait perdre toute humanité et qui souffre de l'éclatement de sa face. Vous comprendrez que vous ne pouvez pas comprendre sa douleur, et que ses souffrances sont proprement inimaginables. A quel point faut-il souffrir pour préférer la mort ? Nous, qui sommes bien portants, ne pouvons le concevoir, et c'est seulement avec humilité qu'on doit parler de cela, sans doute.

nous permette quand même de réfléchir, en pensant à elle. Aujourd'hui, mardi 18 mars, le tribunal de Grande instance de Dijon a refusé la demande d'euthanasie de Chantal Sébire, alors qu'elle souffre d'un "esthésioneuroblastome", une maladie douloureuse et mortelle. L'événement permet de reposer une question récurrente depuis l'affaire Humbert : faut-il légaliser l'euthanasie? Pour faire simple, on exposera les arguments des deux lignes de pensées qui s'affrontent ici.

§1- Rappelons que l'euthanasie signifie, étymologiquement, "la bonne mort", du grec "eu-", le bien, et "thanatos", la mort. Elle consiste à "laisser mourir" une personne pour soulager ses souffrances, lorsque son état douloureux n'offre aucune perspective de guérison. On peut distinguer l'euthanasie passive, qui consiste à suspendre les soins qui maintiennent une personne en vie, et l'euthanasie active, qui consiste à provoquer la mort d'une personne (par l'injection de quelque substance létale). On peut aussi distinguer l'euthanasie involontaire et volontaire. L'euthanasie involontaire est pratiquée par un tiers (par exemple un médecin), lorsque le malade ne dispose plus des facultés lui permettant d'exprimer sa volonté de mourir (soit parce qu'il est inconscient, soit parce qu'il n'a plus les moyens de s'exprimer). L'euthanasie volontaire est pratiquée à la demande expresse du patient, et s'apparente à une aide au suicide. Dans le cas de Chantal Sébire, on a affaire à une euthanasie active et volontaire.

justice§2- Le problème que pose l'euthanasie vient d'une ambigüité de la justice elle-même, que l'avocat de Chantal Sébire qualifie d'"hypocrisie". En effet, si l'euthanasie est interdite, on sait que l'institution judiciaire fait preuve d'une indulgence qui confine à la tolérance, voire à la dépénalisation : l'affaire Marie Humbert a débouché sur un non-lieu (les poursuites ont été abandonnées), et le dernier cas médiatisé, qui concernait le médecin Laurence Tramois et l'infirmière Chantal Chanel a abouti à l'acquittement de la seconde, et à une peine d'un an de prison avec sursis, pour la première. Autant dire, rien. En bref, les décisions de justice sont assez absurdes : elles consistent à admettre que la loi interdit l'euthanasie, tout en acceptant le fait de passer à l'acte. On comprend donc que beaucoup souhaitent voir le débat tranché, car si la liberté consiste à faire tout ce que la loi n'interdit pas, on ne voit pas bien où se situe l'euthanasie. Ajoutons que quelques rares pays ont autorisé l'euthanasie, comme la Suisse et le Danemark, ce qui ajoute à la confusion et à l'hypocrisie dénoncée par certains : en rejetant la demande de Chantal Sébire, le tribunal sait très bien qu'elle ira mourir ailleurs.

§3 - Pourquoi interdire l'euthanasie ? On pourrait d'abord penser à des arguments religieux, qui ont peu de poids dans notre société française laïcisée. L'idée, c'est que la vie d'une créature appartient à Dieu et non à elle-même, si bien qu'il lui est interdit d'en disposer à sa guise. Dieu donne la vie et la reprend, comme l'accorde Platon lui-même, dans un de ses dialogues : "si l'un des êtres qui t'appartiennent se donnait à lui-même la mort sans ton ordre, ne serais-tu pas irrité contre lui" ? (Phédon). Il y a donc l'idée d'un caractère sacré, parce que divin de la vie humaine, qui interdit à la fois le suicide et l'euthanasie. Mais si on ne croit pas en Dieu ?

§ 4- Même si l'on ne croit pas en Dieu, on admettra que la société se fonde sur le même principe, hérité du mythe fondateur des 10 commandements : "tu ne tueras point". En effet, si une vie sociale est possible, c'est grâce aux règles qui protègent les individus les uns contre les autres, et leur permet de sortir de "l'état de nature", c'est-à-dire d'une société sans lois, dans laquelle règnerait "la guerre de chacun contre tous", comme le conçoit Thomas Hobbes. L'interdit du meurtre est donc fondamental. Or, autoriser l'euthanasie active, c'est rendre la définition du meurtre très confuse, et ouvrir une brèche très dangereuse. On se souvient de l'infirmière Christine Malèvre, qui avait tué plusieurs dizaines de pensionnaires d'une maison de retraite, en prétendant avoir pratiqué l'euthanasie. Dès lors que le malade n'est plus conscient, et que son euthanasie est le fruit d'une décision de son entourage, on voit bien qu'il est difficile de faire la différence entre celui qui donne la mort par compassion (comme ce fut le cas pour Marie Humbert) et celui qui commet un meurtre, tout simplement. Mais le suicide consiste à se tuer soi-même ? Or, s'il s'agit d'une euthanasie volontaire, comme dans le cas de Chantal Sébire, ne peut-on l'autoriser ? C'est d'ailleurs avec ce genre de précision que se pratique l'euthanasie dans les pays qui l'ont autorisé : on exige le consentement expresse (et répété) du patient.

§5 - La décision du Tribunal de Dijon se comprend assez bien : on serait très mal à l'aise si la justicerousseau "autorisait" une personne à mourir ; si la société consentait à voir mourir l'un de ses membres. Comme on l'a dit, les hommes s'imposent des règles de vie commune pour sortir de l'état de guerre dans lequel serait une société sans lois. C'est donc d'abord, l'indique Hobbes, pour préserver leur vie qu'ils acceptent qu'un pouvoir leur impose des lois. Il serait donc absurde que l'Etat, dont le but est d'assurer la sécurité des individus et de les protéger, prenne la décision qui consiste à les faire mourir. Dans la même logique que Hobbes, Rousseau écrit dans le contrat social, que l'Etat (et les lois qu'il instaure), est "une forme d'association qui défend et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé". Dans ce sens, les lois protègent chaque individu des autres, mais on pourrait aussi dire qu'elles doivent protéger chaque individu de lui-même, ce qui se produit lorsqu'on interne quelqu'un pour raisons psychiatriques. En bref, la société laïque, et non seulement religieuse, admet comme principe fondateur et quasiment sacré, le respect de la personne humaine. C'est ce principe qui est au fondement de la société, ce qui signifie que ni le groupe, ni l'individu lui-même, ne peut lui porter atteinte. Et comme l'affirme Rousseau : "quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'être libre".

§6 - Il serait donc absurde et contraire aux principes fondamentaux de la société et des règles qui en assure l'existence que celle-ci autorise l'un de ses membres à mourir. Et même, cela permettrait toutes les dérives : si le but de l'Etat n'est plus de protéger les individus, y compris contre eux-mêmes, mais qu'on autorise l'euthanasie, on peut vite se retrouver dans une politique eugéniste, où l'on élimine les personnes, parce qu'on considère qu'elles souffrent ou qu'elles sont malades. Autoriser l'euthanasie active, sans le consentement du malade et par compassion pour lui, c'est peut-être renouer avec la politique eugéniste du IIIème Reich, qui a "euthanasié" 200 000 personnes, malades mentaux, handicapés, pour les "soulager" du lourd fardeau de leurs misérables vies!

§7 - Enfin, et évidemment, il paraît contraire à la déontologie du médecin de donner la mort à un patient, conformément au serment d'Hippocrate : "je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion".

Mais si tous ces arguments sont aussi convaincants, pourquoi vouloir autoriser l'euthanasie ?

§8 - Les principes philosophiques qui s'opposent à tout cela sont plus connus, mais tout aussi forts : d'abord, contrairement à ce que voudrait un esprit religieux, l'époque actuelle a tendance à penser que la vie d'un individu lui appartient. Certes, on peut défendre le caractère sacré de la personne humaine. Mais justement, qu'est-ce qu'une personne humaine ? Comme la définit Locke, un philosophe anglais dont les thèmes sont proches de Hobbes et Rousseau, les personnes sont "des agents doués d'intelligence, susceptibles de reconnaître une loi et d'éprouver bonheur et malheur." (Essais concernant l'entendement humain) Une personne, c'est d'abord un individu capable de ressentir les choses, de souffrir et auquel on doit, par conséquent, le droit de mourir dignement. La vie humaine n'est pas la vie biologique. D'ailleurs, lorsqu'un être humain est réduit à ses seules fonctions biologiques, on dit qu'il est dans un état végétatif, rien de bien humain. Lorsqu'on parle de défendre la vie des individus, de la protéger, de la garantir, etc., on doit surtout prendre garde à définir le terme de "vie". On a dit qu'on ne devait pas porter atteinte à la personne humaine ; mais celui qui souffre, n'est plus capable de s'exprimer et a même perdu la conscience de soi (qui selon Locke, encore, définit l'homme), peut-on dire qu'il demeure une personne humaine ? Protéger la personne humaine, n'est-ce pas aussi lui éviter de tomber dans un état qui nie tout ce qui en fait un humain ?

seneque§9 - Pour conclure, et aller dans ce sens, on ne résiste pas à l'envie de laisser parler Sénèque, philosophe stoïcien du Ier siècle. Sa vie même illustre notre propos, puisqu'il s'est suicidé en se taillant les veines, après que Néron l'y avait obligé. Ainsi montre-t-il, dans la lettre à Lucilius, que ce qui importe n'est pas de vivre le plus longtemps possible ; que ce qui fait la valeur de l'existence humaine n'est pas qu'elle dure, (par des soins palliatifs, un acharnement thérapeutique, etc.). Ce qui compte, c'est ce qu'on fait de cette vie :

"Cette vie, il ne faut pas toujours chercher à la retenir, tu le sais ; ce qui est bien, ce n'est pas de vivre, mais de vivre bien. Voilà pourquoi le sage vivra autant qu'il le doit, non pas autant qu'il le peut (...) Il se préoccupe sans cesse de ce que sera la vie, non de ce qu'elle durera. S'il voit venir à lui une série de disgrâces qui bouleverseront son repos, il quitte la place (...) Il tient pour chose indifférente de se donner la mort ou de la recevoir, de mourir plus tard ou plus tôt (...) L'affaire n'est pas de mourir plus tôt ou plus tard : l'affaire est de bien ou mal mourir. Or, bien mourir, c'est se soustraire au danger de vivre mal"

"Le grand motif de ne pas nous plaindre de la vie, c'est qu'elle ne retient personne".

Représidentialiser (se)

v. pron. 1. Participer à des cérémonies en hommage aux poilus, après avoir traité les gens de "pauv' con". 2. Faire moins parler de soi, quand on sent qu'on va se faire battre aux municipales. 3. Par ext. Exercer la fonction de président de la République Française avec gravité et dignité, au lieu de montrer ses films de vacances avec Carla Bruni.

Un des termes les plus rapides à apparaître dans la langue française; 2/3 jours, pas plus, lorsque les journalistes se sont rendu compte qu'on ne voyait plus Nicolas Sarkozy à la télévision, parce qu'il avait compris qu'il ferait mieux de changer de comportement.


jeudi 13 mars 2008

Soyer

v. intr. (copule), reliant l'attribut au sujet.

Bien que le terme n'apparaisse ni dans la logique aristotélicienne, essentiellement développée dans l'Organon, ni dans la nouvelle logique de Frege ou de Wittgenstein, la langue française comporte un terme logico-grammatical original, qui s'ajoute au verbe "être", et vient souvent le remplacer.

Ainsi : "Malgré que je soye en terminale littéraire, j'ai du mal en français", "Je regrette que le violeur de ma fille soye en prison, il mériterait de mourir".

On pourrait supposer que le verbe soyer n'est qu'une déformation du verbe être, utilisé par les gens qui s'y connaissent mal en conjugaison. Mais si c'était le cas, Jean-Luc Delarue et tous ceux qui font des émissions avec des témoignages de téléspectateurs qu'ont beaucoup souffert les corrigeraient souvent. Or, il n'en est rien. On ne reprend jamais un invité qui utilise le verbe soyer.

En même temps, c'est pas évident de corriger la conjugaison de celui qui dit : "Bien que toute ma famille soye morte, j'essaie de remonter la pente" - "Pardon! Pardon! On dit : bien que toute ma famille soit morte! Un peu de respect pour le français!"

samedi 1 mars 2008

Croiver

Croiver v. tr., XXe s., avoir une opinion

xavier_tatianaLe verbe croiver est à peu près synonyme du verbe croire, qu'il tend à supplanter dans le vocabulaire des témoins télévisés et des internautes. Il présente un avantage certain sur l'obsolète croire en ceci qu'il est considérablement plus facile à conjuguer. En effet, à l'indicatif, croiver se conjugue comme n'importe quel verbe du premier groupe, ce qui reste assez simple.

Mais croiver n'est pas un verbe du premier groupe. Il appartient à un groupe qui lui est propre, mais qui ne demande qu'à accueillir d'autres membres, celui des verbes dont le subjonctif est calqué sur l'indicatif, ce qui est absolument formidable et permet d'éviter les écueils de la conjugaison à papa.
Ainsi, on pourra dire : "Ils croivent qu'il soyent plus intelligents" ou encore "Malgré que les gens ils croivaient que ma fille elle s'habille comme une lolita, moi je la trouvais très jolie comme ça!".

Le verbe croiver présente toutefois un léger inconvénient en ceci qu'il induit souvent, même si parfois à tort, l'idée que son locuteur est en train de proférer une grosse ânerie.

mardi 26 février 2008

La loi sur la rétention de sureté est-elle constitutionnelle ?

Jo

§1 - Voilà un sujet d'actualité, puisque c'est aujourd'hui, Mardi 26 Février 2008, que la loi sur la rétention de sureté, a été publiée au Journal Officiel, après des débats houleux, et le fameux épisode "conseil constitutionnel". Peu satisfait de la décision rendue par ce dernier, le Président de la République avait en effet demandé au 1er président de la cour de cassation, s'il n'y avait pas moyen de quand même appliquer la loi immédiatement, bien que le conseil constitutionnel l'eût interdit, étant donné que la loi n'est pas rétroactive. Rappelons le texte de la constitution de la Vème République :

"Art. 62: Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

Les décisions du conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles."

§2 - Bon, ça, c'est fait! Faut que j'explique ? Ce qui distingue une République d'un Etat tyrannique ou despotique, c'est que, dans une République, on n'obéit pas à un individu particulier, quand bien même serait-il un despote éclairé, mais on obéit à la loi. C'est ce qui garantit la liberté de chacun, inscrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen: "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit". D'abord, c'est bien grâce au droit que les hommes sont libres et égaux. Egaux, parce qu'ils ont tous les mêmes droits. Libres, parce qu'en obéissant à la loi, on n'obéit à personne en particulier. Ce ne sont pas les fantaisies, caprices ou volontés d'un seul qui s'imposent à la volonté des autres. L'autorité unique de la loi fait qu'aucun individu n'est au-dessus des autres. En outre, on ajoutera que dans une démocratie où le peuple est souverain, les lois sont en théorie, l'expression de sa volonté. Par suite, lorsqu'on obéit à la loi, on n'obéit qu'à soi-même. Par conséquent, pour qu'une République reste une république, on ne peut laisser à aucun individu particulier, fusse-t-il un despote éclairé, le droit de juger de la valeur d'une loi, selon ce qui lui paraît bon ou mauvais à lui. En effet, la morale de chaque individu est assez subjective, si bien que ce qui paraît bon à l'un, peut paraître mauvais à l'autre. Au contraire, la loi est la même pour tous. Par suite, dans une République, on ne peut juger qu'une loi est bonne ou mauvaise, "juste" ou "injuste", qu'en se référant à la loi fondamentale de cette république, qui n'est autre que la constitution. Si on commence à laisser l'appréciation des lois à l'arbitraire du jugement de tel ou tel individu, c'en est fini de la république.

C'est pour cette raison que les décisions du conseil constitutionnel sont souveraines. Lui seul est le garant et le gardien de la République. Le président ne fait qu'exercer le pouvoir, il ne le possède pas. Celui qui le possède, c'est le peuple, et ce qui lui garantit, c'est la constitution. Le Président est dit "de" la république, c'est-à-dire qu'il lui est soumis. Il ne peut pas, quand bien même serait-il un président éclairé, discuter, refuser ou "passer par-dessus" les décisions du conseil constitutionnel, parce que c'est passer par dessus le texte fondamental qui définit et garantit le pouvoir du peuple. CQFD

§3 - Quoiqu'il en soit de ces tentatives anticonstitutionnelles (l'article 62 affirme que les décisions du conseil constitutionnel s'appliquent à toutes autorités juridictionnelles, donc y compris le premier président de la cour de cassation), le texte a été promulgué aujourd'hui, mardi 26 février 2008. C'est donc sur le fond qu'on voudrait maintenant en discuter. En gros, et selon le ministère de la Justice lui-même, la loi propose ceci :

dati"la création de la rétention de sûreté, mesure permettant de retenir, à titredati2 exceptionnel, dans un centre fermé, dénommé centre socio-médico-judiciaire, les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour certains crimes et qui présentent à l'issue de leur peine, une probabilité très élevée de récidive et une particulière dangerosité résultant d'un trouble grave de leur personnalité."

Pourquoi des magistrats, des avocats, et cætera, sont-ils opposés à ce texte? Y a-t-il quelque chose contraire à "l'esprit des lois" ?

§4 - La non-rétroactivité. C'est le point le plus discutable du projet de loi, et c'est celui qui a justement été invalidé par le conseil constitutionnel. En effet, le législateur (Rachida Dati), a voulu que la loi s'applique immédiatement, y compris pour les criminels déjà condamnés et emprisonnés. Or, s'il est un principe de base du droit, c'est la non-rétroactivité des lois. L'article 2 (donc, pas le 48 ou le 2564ème!) écrit: "La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point d'effet rétroactif". Pourquoi ? On ne condamne un individu que dans la mesure où il a transgressé la loi de manière volontaire. On punit un individu parce qu'on le suppose doué d'une conscience et d'une raison, grâce auxquelles il sait qu'un acte est interdit. Or, si une loi est promulguée après que l'acte a été commis, cela signifie 1/que l'individu ne pouvait connaître cette loi au moment de commettre son acte. 2/ que lorsqu'il l'a commis, ça n'était pas interdit. Voilà pourquoi la loi n'est pas rétroactive! Et comme l'affirme l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC): "Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché".

Ajoutons que la non-rétroactivité est aussi inscrite dans la DDHC, à l'article 8: "La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée."

§5 - "Nul ne peut être arbitrairement détenu". C'est l'article 66 de la constitution. Arbitrairement, cela signifie qu'il n'y a pas de raison et/ou de loi qui justifie la détention. Or, le paragraphe précédent a rappelé qu'on ne peut être puni et/ou détenu que pour un acte que l'on a effectivement commis. Dans le cas contraire, c'est arbitraire, et c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres. Pourtant, la "rétention de sureté" ressemble beaucoup à une détention arbitraire, puisqu'elle ne constitue pas une peine qui sanctionne un acte commis, connu et constaté, mais une "dangerosité". C'est très contraire au droit pénal ; le principe de précaution appliqué à l'homme. Pour la première fois, on ne retient pas un individu pour ce qu'il a fait, mais pour ce qu'il pourrait faire, avec tout ce que cela comporte d'incertitude, et donc d'injustice. Pour être clair, on n'est pas loin de Minority Report.

§6 - L'autorité de la chose jugée. Pour éviter que les différentes parties en présence dans un procès ne cherchent à re-commencer indéfiniment le procès, on parle de l'autorité de la chose jugée. Cela signifie qu'on ne peut pas revenir sur une décision de justice (et d'ailleurs, on n'a même pas le droit de la commenter). La décision des instances judiciaires est définitive. Or, maintenir un individu en détention une fois sa peine (de 15 ans ou plus) effectuée, c'est remettre en cause l'autorité de la chose jugée. C'est prolonger la peine, au-delà de ce qu'a décidé le juge. C'est ajouter un second jugement au jugement.

montesquieu§7 - L'indépendance du pouvoir judiciaire. La remise en cause de l'autorité de la chose jugée est d'autant plus marquée que la "commission" qui doit statuer sur l'éventuelle "mise en détention de sureté" d'un individu n'est plus composée seulement de magistrats. La projet de loi précise que la commission qui évalue la "dangerosité" d'un détenu est composée "d'un magistrat, d'un préfet, d'un psychiatre, d'un psychologue, d'un directeur des services pénitentiaires, d'un avocat et d'un représentant d'une association nationale d'aide aux victimes." Donc, ce ne sont plus les juges qui rendent la justice, qui prennent des décisions. Montesquieu, dès le 18ème siècle, prévient pourtant dans l'esprit des lois : "Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutive." (Livre XI, chapitre VI)

Et là...c'est le drame! Qu'est-ce qu'un psychiatre vient faire dans une décision de justice ? Et aussi, un représentant des associations de victimes! Rendez-vous compte! Autant autoriser la justice privée, et donner un flingue à tout le monde. Le juge est là pour permettre l'impartialité du jugement, éviter justement que les sentiments et les pulsions de vengeance ne viennent se substituer à la justice. Et on nous met des victimes en juges!! C'est n'importe quoi! On ne peut pas être juge et partie. Surtout, le juge n'a plus le monopole ni la souveraineté des décisions ; c'est une obscure "commission" qui décide. Ah! Qu'il était doux le temps de l'Inquisition, où les coupables n'avaient pas le droit de se défendre, ni de connaître leur dossier.

mercredi 13 février 2008

A partir de quand le foetus devient-il une personne?

foetus

L'actualité, c'est aussi une autre information moins pipole que les autres, mais beaucoup plus lourde de conséquences : Mercredi dernier, 6 février, la cour de cassation a jugé que les fœtus de 16 à 22 semaines, morts dans le ventre de leur mère ou à la suite d'une interruption médicale de grossesse, avaient droit à un nom et des obsèques. Ce sont les parents d'enfants morts-nés entre 18 et 21 semaines qui avaient porté l'affaire devant les tribunaux, après s'être vus refuser l'enregistrement de leur enfant à l'état-civil.

Quel est le problème ? Avant cette décision, la définition de l'enfant "viable", auquel on accordait une existence juridique, était, selon les critères de l'OMS : un poids de plus de 500 grammes et une grossesse de plus de 22 semaines. Une fœtus mort en-deçà de ces critères n'avait pas d'existence juridique. Par conséquent, les parents ne pouvaient le déclarer à l'état civil, et "l'enfant" était brûlé avec les autres "déchets" biologiques de l'hôpital.

Ces descriptions et ces débats juridiques posent évidemment une question : quand un fœtus devient-il un "enfant", et pour tout dire, une "personne" ? Il faut admettre que ces questions bioéthiques sont très épineuses, et ne sont pas sans lien avec le problème de l'avortement. Car, selon la loi, l'avortement est un droit, tandis que la congélation des bébés Courjault est un crime. Quand passe-t-on de l'avortement à l'infanticide ? Quand passe-t-on du fœtus à l'enfant ?

Lorsque l'on se penche sur les textes, notamment juridiques, les distinctions si essentielles paraissent très arbitraires. Pourquoi fixer 22 semaines ? Les critères de la loi paraissent aussi peu justifiés que ceux retenus pour l'avortement. En effet, dans ce débat heureusement tranché en 1975, deux camps s'opposaient : d'une part, ceux qui refusaient l'avortement au nom de la vie humaine, pour des raisons bien souvent religieuses, d'autre part, ceux qui le défendaient au nom de la liberté de la femme à disposer de son propre corps. Alors, on a trouvé une solution intermédiaire, en autorisant l'avortement pendant les premiers mois de grossesse. Mais on comprend tous les problèmes que pose cette solution, dans la mesure où la limite fixée est très artificielle. Pourquoi, à 1 semaine près, un fœtus n'est-il plus reconnu comme un enfant, mais comme une personne juridique avec un nom et des obsèques ? Qu'est-ce qu'une personne ?

Ces questions me rappellent un beau texte où le philosophe allemand Kant, penseur des Lumières au 18ème siècle, définit la personne. Peut-être y trouvera-t-on une réponse :

kant"Une chose qui élève l'homme infiniment au-dessus de toutes les autres créatures qui vivent sur la terre, c'est d'être capable d'avoir la notion de lui-même, du Je. C'est par là qu'il devient une personne (...) A cet égard, les animaux font partie des choses, dépourvus qu'ils sont de raison, et l'on peut les traiter et en disposer à volonté" (Anthropologie du point de vue pragmatique, I, §1).

Une personne, c'est donc un être "pensant" et conscient. D'une part, cela lui permet de se penser lui-même, d'autre part, et par conséquent, cela le rend raisonnable. En effet, un être capable de réfléchir sur lui-même, peut par conséquent juger de la valeur de ses propres actes, réfléchir à ce qu'il fait, écouter sa raison plutôt que ses instincts. Et Kant précise d'ailleurs que l'enfant, même s'il n'a pas encore clairement cette conscience de soi (cette pensée du je), la sent déjà. C'est pour toutes ces bonnes raisons qu'on ne peut pas traiter un être humain comme une chose, qu'il existe un respect de la vie humaine. Une table ne pense pas, ne ressent pas la douleur et le plaisir, on peut donc la détruire. C'est plus discutable pour l'animal, mais admettons qu'un animal n'a pas la conscience de soi (d'ailleurs, si on le croyait, on ne leur mettrait pas de laisse!).

Cette définition fondamentale de la personne est très pertinente : elle instaure une rupture indiscutable entre l'homme et les autres êtres, et lui confère des droits. Le problème, c'est qu'on ne voit pas bien à partir de quand reconnaître cette faculté. Un enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de raison n'est-il pas une personne ? Non.

En bref, on comprend que la loi et la philosophie même ont du mal à trancher. Car il est certain que l'enfant est déjà disposé à avoir la conscience de soi. Même s'il ne l'a pas encore, il la développera. Et le foetus ?

J'avoue ne pas avoir de réponse à tout cela, et je n'offre ces remarques que dans le seul but d'aider chacun dans sa propre réflexion. Il est certain qu'il faut défendre le droit à l'avortement. Mais le meilleur moyen de le faire, c'est de réduire le flou qui existe dans la définition de la personne, sinon, c'est la porte ouverte à tous les fanatiques religieux qui voudraient revenir en arrière. En effet, dès lors que l'on reconnait l'existence juridique d'un enfant mort-né à moins de 22 semaines, comment ne pas voir l'occasion offerte à certains de reconnaître l'avortement comme un crime ? Il faudrait se mettre d'accord. Le problème, c'est la contradiction qui émerge de ces différents textes juridiques. L'urgence, c'est de la résoudre.

mardi 5 février 2008

Rapport Attali: le principe de précaution a-t-il un sens ?

attali

Parmi toutes les mesures ou décisions défendues dans le rapport Attali qui a été remis au président le 23 janvier 2008, l'une des plus discutées est la remise en cause du "principe de précaution". Ce principe fut notamment énoncé au titre de l'article 5 de la Charte de l'environnement, inscrite dans rien moins que la Constitution de la 5ème République, à l'heure où les questions écologiques prennent - à juste titre - une importance dans la politique Française.

Il est vrai que certaines catastrophes écologiques ou sanitaires rendent urgent ce principe, à commencer par l'affaire des hémophiles contaminés par le virus du Sida dans les années 1980. Depuis, on a notamment vu les "faucheurs volontaires" s'opposer à la culture de maïs transgénique. A force d'opérations illégales, ils ont gagné leur combat. La culture des OGM est désormais suspendue et ce, au nom du "principe de précaution".

Mais que signifie ce principe ? Le texte de l'article 5 est le suivant : "Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution (...) à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage".

Le rapport Attali propose de repenser ce principe, dans la mesure où le flou artistique qui entoure sa définition rend son application difficile et pour être clair, interdit de prendre toute décision quelle qu'elle soit - ce qui nuit à la croissance.

aristoteEn effet, qu'est-ce qu'un principe ? C'est une règle qu'on se propose de suivre pour agir, comme par exemple, "ne pas faire aux autres ce que je ne voudrais pas qu'on me fasse", ou "se laver les mains avant d'opérer un patient". Lorsqu'on parle d'éviter "la réalisation d'un dommage", on comprend que le principe de précaution ressemble assez à la prudence. C'est d'ailleurs le terme retenu pour traduire la "phronésis" chez Aristote (dans l'Ethique à Nicomaque), c'est-à-dire la sagesse acquise au cours de l'expérience, qui permet de savoir ce qu'il faut faire dans des circonstances particulières. En effet, il y a des choses qui sont bonnes en toutes circonstances, comme être juste ou "ne pas faire à autrui...". mais d'autres peuvent être bonnes ou mauvaises selon les circonstances : en général, par exemple, il ne faut pas mentir, mais si un résistant est interrogé par la gestapo qui lui demande de dénoncer les membres de son réseau, que fera-t-il ? La prudence, c'est donc savoir quoi faire selon le temps et le lieu : quoi ? Où ? Quand ?

Mais à bien y réfléchir, le principe de précaution n'est même pas une règle de prudence, tant il est dénué de sens : la réalisation du dommage qu'il faut éviter peut être, selon le texte constitutionnel "incertaine en l'état des connaissances scientifiques". On rappellera que la prudence n'a de sens que si elle se fonde sur un savoir tiré de l'expérience. Il faut donc que le "dommage" soit, d'une manière ou d'une autre, avéré, constaté. Parler d'un risque "incertain en l'état des connaissances scientifiques", c'est mettre à peu près tout et n'importe quoi sur le dos de la précaution, si bien qu'elle dégénère dans une prudence entendue au sens moderne, c'est-à-dire l'abstention craintive de tout risque. C'est-à-dire l'inaction.

Donc, le principe de précaution conduit à ne rien faire du tout, parce qu'on pourra toujours dire, après coup, qu'il y avait un risque "incertain en l'état des connaissances scientifiques". C'est vraiment débile ce principe! C'est un genre de doute cartésien mal compris.

Qu'est-ce que le doute cartésien ? C'est la méthode adoptée par Descartes pour trouver la vérité, notamment dans le Discours de la Méthode. Après avoir remarqué qu'on peut toujours se tromper, Descartes se demande s'il peut trouver au moins une vérité qui soit vraiment certaine. Pour ce faire, il décide de mettre de côté tout ce qui peut être douteux, incertain. "Mettre de côté", c'est-à-dire considérer carrément que c'est faux. Exemple : des fois, mes sens en général et ma vue en particulier me trompent, comme le montre la première illusion d'optique venue, donc je considère que tout ce que je connais par les sens est faux. Par suite, je considère que le monde entier n'existe pas. C'est pas rien! Et on pourrait croire que l'on retrouve là le fameux "principe de précaution" qui, de la même manière, consiste à tenir ce qui est "incertain" pour "faux", dans la mesure où, dans le doute, on s'abstient.

Mais Descartes admet lui-même qu'on ne peut pas s'amuser à faire ça n'importe quand : par exemple, si undescartes camion de 30 tonnes me fonçe dessus, ce n'est pas le moment de me demander : "voyons...est-ce que mes sens me trompent ? Le camion existe-t-il ?" MAIS POUSSE-TOI, PLUTOT!!! On ne se met à douter de tout que quand on est bien à l'abri, dans son bureau, et qu'il n'y a aucune urgence, en bref, quand on n'a pas à agir. Ce que le philosophe précise, c'est que "l'action ne souffre pas de délai". Pour ce qui est des règles morales, il rejette totalement un quelconque "principe de précaution". Au contraire, dit-il, il faut, dans ce cas, suivre des opinions, mêmes si elles sont incertaines, parce que ce qui importe, c'est d'agir (comme le montre l'exemple du camion).

En bref, le principe de précaution peut bien être un principe théorique ou scientifique, mais pas un principe d'action! Pourquoi ? Parce que si on le suit, on ne fait rien du tout! Par précaution, il faudrait rien manger, parce qu'un aliment peut toujours être contaminé par on sait pas quoi. Il faut pas non plus sortir de chez soi, parce qu'un pot de fleur peut tomber ; en même temps, si on reste chez soi, il peut y avoir une explosion de gaz, etc. Bref, il y a toujours un risque de n'importe quoi! Et scientifiquement parlant, on est en danger dès qu'on est né : "la vie est l'ensemble des forces qui résistent à la mort".

Aussi, la meilleure formule qui résume le principe de précaution est-elle inspirée par Coluche (grand philosophe, qui fit même un sketch sur Descartes) : "avec les capotes Nestor, je suis pas né je suis pas mort". Voilà quel peut être le sens de ce principe, et je n'en vois pas d'autre.

lundi 21 janvier 2008

Bleufer

Bleufer v. tr., XXe s., Evelyne Thomas
Bleufer ressemble à s'y méprendre, du moins phonétiquement, au verbe bluffer qui, lui, existe bien, et signifie, d'après mon Larousse, "Donner le change en essayant de cacher sa situation réelle ou ses intentions". Bluffer est emprunté au vocabulaire du poker.
Bleufer, lui, n'existe pas, et signifie, d'après C'est mon choix, "Surprendre". Bleufer est emprunté au vocabulaire thomassiste.
yogiOn peut se demander pourquoi les cercles thomassistes ont éprouvé le besoin d'inventer un verbe pour remplacer le verbe surprendre qui convient tout-à-fait bien pour exprimer la surprise, ou on peut aussi ne pas se le demander. Si on se le demande, Gilles aura la réponse, sans doute. On pourra cependant regretter que les dits cercles ne se soient pas plutôt attachés à utiliser de manière appropriée le verbe bluffer qui aurait eu sa place dans leurs tenues consacrées au principe d'apparence, mais bon.
Les thomassistes, et notamment la première d'entre eux, Evelyne Thomas, avaient donc coutume d'être bleufés là où le commun des mortels se contentait d'être surpris. Ainsi, le fameux Yogi Coudou, lorsqu'il se contorsionnait à moitié à poil dans une boîte transparente, était particulièrement bleufant.