mardi 26 février 2008

La loi sur la rétention de sureté est-elle constitutionnelle ?

Jo

§1 - Voilà un sujet d'actualité, puisque c'est aujourd'hui, Mardi 26 Février 2008, que la loi sur la rétention de sureté, a été publiée au Journal Officiel, après des débats houleux, et le fameux épisode "conseil constitutionnel". Peu satisfait de la décision rendue par ce dernier, le Président de la République avait en effet demandé au 1er président de la cour de cassation, s'il n'y avait pas moyen de quand même appliquer la loi immédiatement, bien que le conseil constitutionnel l'eût interdit, étant donné que la loi n'est pas rétroactive. Rappelons le texte de la constitution de la Vème République :

"Art. 62: Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

Les décisions du conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles."

§2 - Bon, ça, c'est fait! Faut que j'explique ? Ce qui distingue une République d'un Etat tyrannique ou despotique, c'est que, dans une République, on n'obéit pas à un individu particulier, quand bien même serait-il un despote éclairé, mais on obéit à la loi. C'est ce qui garantit la liberté de chacun, inscrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen: "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit". D'abord, c'est bien grâce au droit que les hommes sont libres et égaux. Egaux, parce qu'ils ont tous les mêmes droits. Libres, parce qu'en obéissant à la loi, on n'obéit à personne en particulier. Ce ne sont pas les fantaisies, caprices ou volontés d'un seul qui s'imposent à la volonté des autres. L'autorité unique de la loi fait qu'aucun individu n'est au-dessus des autres. En outre, on ajoutera que dans une démocratie où le peuple est souverain, les lois sont en théorie, l'expression de sa volonté. Par suite, lorsqu'on obéit à la loi, on n'obéit qu'à soi-même. Par conséquent, pour qu'une République reste une république, on ne peut laisser à aucun individu particulier, fusse-t-il un despote éclairé, le droit de juger de la valeur d'une loi, selon ce qui lui paraît bon ou mauvais à lui. En effet, la morale de chaque individu est assez subjective, si bien que ce qui paraît bon à l'un, peut paraître mauvais à l'autre. Au contraire, la loi est la même pour tous. Par suite, dans une République, on ne peut juger qu'une loi est bonne ou mauvaise, "juste" ou "injuste", qu'en se référant à la loi fondamentale de cette république, qui n'est autre que la constitution. Si on commence à laisser l'appréciation des lois à l'arbitraire du jugement de tel ou tel individu, c'en est fini de la république.

C'est pour cette raison que les décisions du conseil constitutionnel sont souveraines. Lui seul est le garant et le gardien de la République. Le président ne fait qu'exercer le pouvoir, il ne le possède pas. Celui qui le possède, c'est le peuple, et ce qui lui garantit, c'est la constitution. Le Président est dit "de" la république, c'est-à-dire qu'il lui est soumis. Il ne peut pas, quand bien même serait-il un président éclairé, discuter, refuser ou "passer par-dessus" les décisions du conseil constitutionnel, parce que c'est passer par dessus le texte fondamental qui définit et garantit le pouvoir du peuple. CQFD

§3 - Quoiqu'il en soit de ces tentatives anticonstitutionnelles (l'article 62 affirme que les décisions du conseil constitutionnel s'appliquent à toutes autorités juridictionnelles, donc y compris le premier président de la cour de cassation), le texte a été promulgué aujourd'hui, mardi 26 février 2008. C'est donc sur le fond qu'on voudrait maintenant en discuter. En gros, et selon le ministère de la Justice lui-même, la loi propose ceci :

dati"la création de la rétention de sûreté, mesure permettant de retenir, à titredati2 exceptionnel, dans un centre fermé, dénommé centre socio-médico-judiciaire, les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour certains crimes et qui présentent à l'issue de leur peine, une probabilité très élevée de récidive et une particulière dangerosité résultant d'un trouble grave de leur personnalité."

Pourquoi des magistrats, des avocats, et cætera, sont-ils opposés à ce texte? Y a-t-il quelque chose contraire à "l'esprit des lois" ?

§4 - La non-rétroactivité. C'est le point le plus discutable du projet de loi, et c'est celui qui a justement été invalidé par le conseil constitutionnel. En effet, le législateur (Rachida Dati), a voulu que la loi s'applique immédiatement, y compris pour les criminels déjà condamnés et emprisonnés. Or, s'il est un principe de base du droit, c'est la non-rétroactivité des lois. L'article 2 (donc, pas le 48 ou le 2564ème!) écrit: "La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point d'effet rétroactif". Pourquoi ? On ne condamne un individu que dans la mesure où il a transgressé la loi de manière volontaire. On punit un individu parce qu'on le suppose doué d'une conscience et d'une raison, grâce auxquelles il sait qu'un acte est interdit. Or, si une loi est promulguée après que l'acte a été commis, cela signifie 1/que l'individu ne pouvait connaître cette loi au moment de commettre son acte. 2/ que lorsqu'il l'a commis, ça n'était pas interdit. Voilà pourquoi la loi n'est pas rétroactive! Et comme l'affirme l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC): "Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché".

Ajoutons que la non-rétroactivité est aussi inscrite dans la DDHC, à l'article 8: "La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée."

§5 - "Nul ne peut être arbitrairement détenu". C'est l'article 66 de la constitution. Arbitrairement, cela signifie qu'il n'y a pas de raison et/ou de loi qui justifie la détention. Or, le paragraphe précédent a rappelé qu'on ne peut être puni et/ou détenu que pour un acte que l'on a effectivement commis. Dans le cas contraire, c'est arbitraire, et c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres. Pourtant, la "rétention de sureté" ressemble beaucoup à une détention arbitraire, puisqu'elle ne constitue pas une peine qui sanctionne un acte commis, connu et constaté, mais une "dangerosité". C'est très contraire au droit pénal ; le principe de précaution appliqué à l'homme. Pour la première fois, on ne retient pas un individu pour ce qu'il a fait, mais pour ce qu'il pourrait faire, avec tout ce que cela comporte d'incertitude, et donc d'injustice. Pour être clair, on n'est pas loin de Minority Report.

§6 - L'autorité de la chose jugée. Pour éviter que les différentes parties en présence dans un procès ne cherchent à re-commencer indéfiniment le procès, on parle de l'autorité de la chose jugée. Cela signifie qu'on ne peut pas revenir sur une décision de justice (et d'ailleurs, on n'a même pas le droit de la commenter). La décision des instances judiciaires est définitive. Or, maintenir un individu en détention une fois sa peine (de 15 ans ou plus) effectuée, c'est remettre en cause l'autorité de la chose jugée. C'est prolonger la peine, au-delà de ce qu'a décidé le juge. C'est ajouter un second jugement au jugement.

montesquieu§7 - L'indépendance du pouvoir judiciaire. La remise en cause de l'autorité de la chose jugée est d'autant plus marquée que la "commission" qui doit statuer sur l'éventuelle "mise en détention de sureté" d'un individu n'est plus composée seulement de magistrats. La projet de loi précise que la commission qui évalue la "dangerosité" d'un détenu est composée "d'un magistrat, d'un préfet, d'un psychiatre, d'un psychologue, d'un directeur des services pénitentiaires, d'un avocat et d'un représentant d'une association nationale d'aide aux victimes." Donc, ce ne sont plus les juges qui rendent la justice, qui prennent des décisions. Montesquieu, dès le 18ème siècle, prévient pourtant dans l'esprit des lois : "Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutive." (Livre XI, chapitre VI)

Et là...c'est le drame! Qu'est-ce qu'un psychiatre vient faire dans une décision de justice ? Et aussi, un représentant des associations de victimes! Rendez-vous compte! Autant autoriser la justice privée, et donner un flingue à tout le monde. Le juge est là pour permettre l'impartialité du jugement, éviter justement que les sentiments et les pulsions de vengeance ne viennent se substituer à la justice. Et on nous met des victimes en juges!! C'est n'importe quoi! On ne peut pas être juge et partie. Surtout, le juge n'a plus le monopole ni la souveraineté des décisions ; c'est une obscure "commission" qui décide. Ah! Qu'il était doux le temps de l'Inquisition, où les coupables n'avaient pas le droit de se défendre, ni de connaître leur dossier.

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