mercredi 13 février 2008

A partir de quand le foetus devient-il une personne?

foetus

L'actualité, c'est aussi une autre information moins pipole que les autres, mais beaucoup plus lourde de conséquences : Mercredi dernier, 6 février, la cour de cassation a jugé que les fœtus de 16 à 22 semaines, morts dans le ventre de leur mère ou à la suite d'une interruption médicale de grossesse, avaient droit à un nom et des obsèques. Ce sont les parents d'enfants morts-nés entre 18 et 21 semaines qui avaient porté l'affaire devant les tribunaux, après s'être vus refuser l'enregistrement de leur enfant à l'état-civil.

Quel est le problème ? Avant cette décision, la définition de l'enfant "viable", auquel on accordait une existence juridique, était, selon les critères de l'OMS : un poids de plus de 500 grammes et une grossesse de plus de 22 semaines. Une fœtus mort en-deçà de ces critères n'avait pas d'existence juridique. Par conséquent, les parents ne pouvaient le déclarer à l'état civil, et "l'enfant" était brûlé avec les autres "déchets" biologiques de l'hôpital.

Ces descriptions et ces débats juridiques posent évidemment une question : quand un fœtus devient-il un "enfant", et pour tout dire, une "personne" ? Il faut admettre que ces questions bioéthiques sont très épineuses, et ne sont pas sans lien avec le problème de l'avortement. Car, selon la loi, l'avortement est un droit, tandis que la congélation des bébés Courjault est un crime. Quand passe-t-on de l'avortement à l'infanticide ? Quand passe-t-on du fœtus à l'enfant ?

Lorsque l'on se penche sur les textes, notamment juridiques, les distinctions si essentielles paraissent très arbitraires. Pourquoi fixer 22 semaines ? Les critères de la loi paraissent aussi peu justifiés que ceux retenus pour l'avortement. En effet, dans ce débat heureusement tranché en 1975, deux camps s'opposaient : d'une part, ceux qui refusaient l'avortement au nom de la vie humaine, pour des raisons bien souvent religieuses, d'autre part, ceux qui le défendaient au nom de la liberté de la femme à disposer de son propre corps. Alors, on a trouvé une solution intermédiaire, en autorisant l'avortement pendant les premiers mois de grossesse. Mais on comprend tous les problèmes que pose cette solution, dans la mesure où la limite fixée est très artificielle. Pourquoi, à 1 semaine près, un fœtus n'est-il plus reconnu comme un enfant, mais comme une personne juridique avec un nom et des obsèques ? Qu'est-ce qu'une personne ?

Ces questions me rappellent un beau texte où le philosophe allemand Kant, penseur des Lumières au 18ème siècle, définit la personne. Peut-être y trouvera-t-on une réponse :

kant"Une chose qui élève l'homme infiniment au-dessus de toutes les autres créatures qui vivent sur la terre, c'est d'être capable d'avoir la notion de lui-même, du Je. C'est par là qu'il devient une personne (...) A cet égard, les animaux font partie des choses, dépourvus qu'ils sont de raison, et l'on peut les traiter et en disposer à volonté" (Anthropologie du point de vue pragmatique, I, §1).

Une personne, c'est donc un être "pensant" et conscient. D'une part, cela lui permet de se penser lui-même, d'autre part, et par conséquent, cela le rend raisonnable. En effet, un être capable de réfléchir sur lui-même, peut par conséquent juger de la valeur de ses propres actes, réfléchir à ce qu'il fait, écouter sa raison plutôt que ses instincts. Et Kant précise d'ailleurs que l'enfant, même s'il n'a pas encore clairement cette conscience de soi (cette pensée du je), la sent déjà. C'est pour toutes ces bonnes raisons qu'on ne peut pas traiter un être humain comme une chose, qu'il existe un respect de la vie humaine. Une table ne pense pas, ne ressent pas la douleur et le plaisir, on peut donc la détruire. C'est plus discutable pour l'animal, mais admettons qu'un animal n'a pas la conscience de soi (d'ailleurs, si on le croyait, on ne leur mettrait pas de laisse!).

Cette définition fondamentale de la personne est très pertinente : elle instaure une rupture indiscutable entre l'homme et les autres êtres, et lui confère des droits. Le problème, c'est qu'on ne voit pas bien à partir de quand reconnaître cette faculté. Un enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de raison n'est-il pas une personne ? Non.

En bref, on comprend que la loi et la philosophie même ont du mal à trancher. Car il est certain que l'enfant est déjà disposé à avoir la conscience de soi. Même s'il ne l'a pas encore, il la développera. Et le foetus ?

J'avoue ne pas avoir de réponse à tout cela, et je n'offre ces remarques que dans le seul but d'aider chacun dans sa propre réflexion. Il est certain qu'il faut défendre le droit à l'avortement. Mais le meilleur moyen de le faire, c'est de réduire le flou qui existe dans la définition de la personne, sinon, c'est la porte ouverte à tous les fanatiques religieux qui voudraient revenir en arrière. En effet, dès lors que l'on reconnait l'existence juridique d'un enfant mort-né à moins de 22 semaines, comment ne pas voir l'occasion offerte à certains de reconnaître l'avortement comme un crime ? Il faudrait se mettre d'accord. Le problème, c'est la contradiction qui émerge de ces différents textes juridiques. L'urgence, c'est de la résoudre.

3 commentaires:

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  3. J'ai bien apprécié la lecture de cette publication, même si le sujet est de 2008 (l'éthique sera toujours d'actualité).
    Un critère aussi qui se doit d'être dans la définition d'une personne/d'un homme serait peut-être aussi celle de l'expérience; peut-on parler de vie si l'être (le foetus) n'as pas encore vécu [dans le sens de commencer à expérimenter/évoluer dans son environnement 'naturel'] ?J'ai du mal à distinguer ici exister et vivre.
    Pourriez-vous m'éclaircir à ce sujet s'il vous plaît?

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