mardi 5 février 2008

Rapport Attali: le principe de précaution a-t-il un sens ?

attali

Parmi toutes les mesures ou décisions défendues dans le rapport Attali qui a été remis au président le 23 janvier 2008, l'une des plus discutées est la remise en cause du "principe de précaution". Ce principe fut notamment énoncé au titre de l'article 5 de la Charte de l'environnement, inscrite dans rien moins que la Constitution de la 5ème République, à l'heure où les questions écologiques prennent - à juste titre - une importance dans la politique Française.

Il est vrai que certaines catastrophes écologiques ou sanitaires rendent urgent ce principe, à commencer par l'affaire des hémophiles contaminés par le virus du Sida dans les années 1980. Depuis, on a notamment vu les "faucheurs volontaires" s'opposer à la culture de maïs transgénique. A force d'opérations illégales, ils ont gagné leur combat. La culture des OGM est désormais suspendue et ce, au nom du "principe de précaution".

Mais que signifie ce principe ? Le texte de l'article 5 est le suivant : "Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution (...) à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage".

Le rapport Attali propose de repenser ce principe, dans la mesure où le flou artistique qui entoure sa définition rend son application difficile et pour être clair, interdit de prendre toute décision quelle qu'elle soit - ce qui nuit à la croissance.

aristoteEn effet, qu'est-ce qu'un principe ? C'est une règle qu'on se propose de suivre pour agir, comme par exemple, "ne pas faire aux autres ce que je ne voudrais pas qu'on me fasse", ou "se laver les mains avant d'opérer un patient". Lorsqu'on parle d'éviter "la réalisation d'un dommage", on comprend que le principe de précaution ressemble assez à la prudence. C'est d'ailleurs le terme retenu pour traduire la "phronésis" chez Aristote (dans l'Ethique à Nicomaque), c'est-à-dire la sagesse acquise au cours de l'expérience, qui permet de savoir ce qu'il faut faire dans des circonstances particulières. En effet, il y a des choses qui sont bonnes en toutes circonstances, comme être juste ou "ne pas faire à autrui...". mais d'autres peuvent être bonnes ou mauvaises selon les circonstances : en général, par exemple, il ne faut pas mentir, mais si un résistant est interrogé par la gestapo qui lui demande de dénoncer les membres de son réseau, que fera-t-il ? La prudence, c'est donc savoir quoi faire selon le temps et le lieu : quoi ? Où ? Quand ?

Mais à bien y réfléchir, le principe de précaution n'est même pas une règle de prudence, tant il est dénué de sens : la réalisation du dommage qu'il faut éviter peut être, selon le texte constitutionnel "incertaine en l'état des connaissances scientifiques". On rappellera que la prudence n'a de sens que si elle se fonde sur un savoir tiré de l'expérience. Il faut donc que le "dommage" soit, d'une manière ou d'une autre, avéré, constaté. Parler d'un risque "incertain en l'état des connaissances scientifiques", c'est mettre à peu près tout et n'importe quoi sur le dos de la précaution, si bien qu'elle dégénère dans une prudence entendue au sens moderne, c'est-à-dire l'abstention craintive de tout risque. C'est-à-dire l'inaction.

Donc, le principe de précaution conduit à ne rien faire du tout, parce qu'on pourra toujours dire, après coup, qu'il y avait un risque "incertain en l'état des connaissances scientifiques". C'est vraiment débile ce principe! C'est un genre de doute cartésien mal compris.

Qu'est-ce que le doute cartésien ? C'est la méthode adoptée par Descartes pour trouver la vérité, notamment dans le Discours de la Méthode. Après avoir remarqué qu'on peut toujours se tromper, Descartes se demande s'il peut trouver au moins une vérité qui soit vraiment certaine. Pour ce faire, il décide de mettre de côté tout ce qui peut être douteux, incertain. "Mettre de côté", c'est-à-dire considérer carrément que c'est faux. Exemple : des fois, mes sens en général et ma vue en particulier me trompent, comme le montre la première illusion d'optique venue, donc je considère que tout ce que je connais par les sens est faux. Par suite, je considère que le monde entier n'existe pas. C'est pas rien! Et on pourrait croire que l'on retrouve là le fameux "principe de précaution" qui, de la même manière, consiste à tenir ce qui est "incertain" pour "faux", dans la mesure où, dans le doute, on s'abstient.

Mais Descartes admet lui-même qu'on ne peut pas s'amuser à faire ça n'importe quand : par exemple, si undescartes camion de 30 tonnes me fonçe dessus, ce n'est pas le moment de me demander : "voyons...est-ce que mes sens me trompent ? Le camion existe-t-il ?" MAIS POUSSE-TOI, PLUTOT!!! On ne se met à douter de tout que quand on est bien à l'abri, dans son bureau, et qu'il n'y a aucune urgence, en bref, quand on n'a pas à agir. Ce que le philosophe précise, c'est que "l'action ne souffre pas de délai". Pour ce qui est des règles morales, il rejette totalement un quelconque "principe de précaution". Au contraire, dit-il, il faut, dans ce cas, suivre des opinions, mêmes si elles sont incertaines, parce que ce qui importe, c'est d'agir (comme le montre l'exemple du camion).

En bref, le principe de précaution peut bien être un principe théorique ou scientifique, mais pas un principe d'action! Pourquoi ? Parce que si on le suit, on ne fait rien du tout! Par précaution, il faudrait rien manger, parce qu'un aliment peut toujours être contaminé par on sait pas quoi. Il faut pas non plus sortir de chez soi, parce qu'un pot de fleur peut tomber ; en même temps, si on reste chez soi, il peut y avoir une explosion de gaz, etc. Bref, il y a toujours un risque de n'importe quoi! Et scientifiquement parlant, on est en danger dès qu'on est né : "la vie est l'ensemble des forces qui résistent à la mort".

Aussi, la meilleure formule qui résume le principe de précaution est-elle inspirée par Coluche (grand philosophe, qui fit même un sketch sur Descartes) : "avec les capotes Nestor, je suis pas né je suis pas mort". Voilà quel peut être le sens de ce principe, et je n'en vois pas d'autre.

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