jeudi 19 juin 2008

Plussoyer

Plussoyer v. intr. XXIe s., marquer son approbation

ChansonPlusBifluoreeS'il ne devait y avoir qu'un seul verbe qu'existe pas et qu'on utilise quand même sur internet, ce serait le verbe plussoyer. Il est en effet communément utilisé dans moult fora par les intervenants souhaitant exprimer leur accord avec les propos formulés par l'intervenant précédent. Le verbe plussoyer est en fait issu de l'habitude qui avait été prise précédemment de marquer ce même accord par un simple +1. En effet, l'internaute, tantôt fainéant, tantôt illettré, rechigne parfois à utiliser des expressions compliquées (par exemple "grâces te soient rendues d'avoir si bien exprimé le sentiment que j'avais dans le dedans de moi-même*" ou même "je suis bien d'accord avec toi"). D'où le +1. Mais, tantôt pris d'une frénésie vocabulistique, tantôt néologiseur, l'internaute aime parfois à utiliser des mots entiers, sinon des phrases, quitte à ce qu'ils existent même pas. D'où je plussoie en lieu et place du froid +1.

Il convient de noter que la conjugaison du verbe plussoyer est trouble. On pourrait supposer qu'elle se calque sur celle du verbe soyer, mais comme ce dernier est lui-même un mot qu'existe pas (mais qu'on utilise quand même)...

A défaut d'employer le verbe plussoyer (26300 occurrences sur google) on peut sans vergogne se rabattre sur sa variante plussoir (1480 occurrences), qui elle même admet des graphies alternatives telles que plusseoir (116), pluseoir (1), plusoire (4) ou plussoire (410).

* L'expression dans le dedans de moi-même est (c)sonia, dont les chroniques me font souvent bien rire.

mardi 10 juin 2008

Roland Garros / Euro 2008 : qu'est-ce qu'un arbitre ?

arbitre

En suivant un peu la quinzaine de Roland Garros, on se rend compte d'une chose étrange : le tennis est le seul sport (à ma connaissance) où la décision des joueurs l'emporte sur le jugement de l'arbitre. En effet, quand une balle est criée "faute" (tellement fort qu'on croirait que le juge de ligne vient de perdre père et mère), certains joueurs peuvent contester ce jugement, comme on le voit encore mieux au football, où les uns et les autres font des pieds et des mains pour que l'arbitre revienne sur sa décision : "j'te jure, putain! C'est pas moi qu'ai niqué Mounia! C'est un sosie!"

Au tennis, l'arbitre de chaise peut tout à fait confirmer ou infirmer le jugement, et sa décision est en général, souveraine. Néanmoins, si un joueur accorde le point à son adversaire, même l'arbitre de chaise se soumet à sa décision. Par exemple, on peut souvent voir un service ou un coup jugés "faute". L'auteur conteste, et demande que l'on vérifie la marque. Si son adversaire s'approche de la ligne et la déclare "bonne", notamment en effaçant la marque avec le pied, l'arbitre se plie à la décision du joueur, sans même se déplacer. En bref, au tennis, l'arbitrage des joueurs, quand il est effectué au bénéfice de l'adversaire, prévaut sur les décisions de l'arbitre.

footIl n'en est pas du tout de même au football (ni dans aucun autre sport) : les décisions de l'arbitre sont souveraines et indiscutables, même si elles ne sont pas indiscutées : si un arbitre met un carton rouge à un joueur, l'équipe adverse ne peut pas décider d'annuler ce carton. D'abord, parce que ça ne se passe jamais comme cela. On n'a jamais vu une équipe contester un carton remis à l'adversaire. A vrai dire, même quand on sait pertinemment que le carton est injustifié, on se tait, trop content que l'arbitre ait affaibli l'adversaire. En revanche, quand la même décision est prise à l'encontre de sa propre équipe, on crie au scandale (et on a peut-être raison). Ensuite, même s'ils le voulaient bien les joueurs ne pourrait pas défendre leurs adversaires contre un arbitrage injuste. Au football, la décision de l'arbitre est absolument souveraine : si un joueur déclarait : "non, il ne m'a pas touché, vous pouvez annuler son carton", cela ne changerait rien. Ce ne sont pas les joueurs qui dictent ses décisions à l'arbitre, contrairement à ce qui se passe au tennis, pour une balle jugée "faute". Etonnant, non ?

Qu'est-ce qu'un arbitre ? C'est le garant de la justice: le tiers désigné ou reconnu par les parties (ou équipes), pour trancher en cas de litige ou de désaccord sur l'application des règles. Par nature, l'arbitre est neutre, et c'est la raison pour laquelle il est d'une nationalité différente des deux équipes en jeu, au football. Sa décision ne doit pas aller dans l'intérêt particulier d'une des équipes ou parties, mais elle doit donner à chacun selon ses mérites, conformément aux règles. Si les joueurs étaient les arbitres, on imagine qu'ils voudraient toujours juger selon leur intérêt, si bien qu'aucune décision ne serait prise. C'est pour cela qu'il faut un arbitre; si on demande aux parties intéressées de décider, elles affirmeront indéfiniment le contraire l'une de l'autre, conformément à leur intérêt. C'est pour cela que l'arbitre a toujours raison, non pas parce qu'il dit vrai, mais parce que c'est l'arbitre: quelle que soit sa décision, on doit s'y soumettre, parce que c'est grâce à lui que le jeu peut avancer.

On est donc surpris d'entendre ceux qui justifient les nouvelles lois pénales, comme la rétention de sureté, en se référant à la souffrance des victimes. La justice est rendue par le juge, au nom de la société, et doit donner à chacun selon ses mérites. Placer les victimes et leur souffrance, aussi profonde et compréhensible soit-elle, au centre du débat judiciaire, ce n'est pas rendre la justice, c'est satisfaire l'intérêt d'une partie. C'est un peu comme si une équipe, mettons l'Italie, était menée 1-0, et que l'arbitre, sans aucune raison, lui offrait un penalty, simplement parce que l'Italie serait triste de perdre le match.

tennisQuant à cette bizarerie du tennis, on l'expliquera par le fait que les joueurs de tennis sont vraiment fair-play (de l'anglais "fair", qui signifie "juste"). Les arbitres semblent savoir que les joueurs ont le souci de respecter les règles et de gagner sans tricher. Ils cherchent la performance et non pas la victoire. Et quand on gagne selon les règles, on est fort. Au contraire, y a un genre de mauvaise foi et de tricherie perpétuelle au football : les arbitres savent que les joueurs ne feront rien d'autre que de défendre leur intérêt particulier, même si les règles leur sont contraires. Malgré les grandes déclarations, aucun joueur de football n'est fair play : il faut les voir se tordre de douleur, simplement parce qu'un joueur adverse les a frôlés. On dirait que les joueurs de football tentent leur chance à chaque fois, comme des gamins, sans jamais se sentir responsables des règles du jeu, qu'ils abandonnent à l'arbitre, ce qui ne les empêche pas de le contester perpétuellement. C'est peut-être pour toutes ces raisons que l'Italie est championne du monde...

mardi 3 juin 2008

Annulation de mariage : la virginité est-elle une "qualité essentielle" de la personne ?

MarieeL'actualité de la semaine, c'est bien sûr la polémique autour de la décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Lille, qui a prononcé l'annulation d'un mariage sur la demande du mari, au motif que son épouse lui avait menti : elle n'était pas vierge! La coquine... Toute la classe politique se dit consternée, parce qu'il s'agit d'une régression dans le statut de la femme, sauf Rachida Dati, qu'a dit au début que ça protégeait la femme. Mais elle n'a jamais expliqué en quoi répudier sa femme permettait de la protéger. Du coup, elle demande au tribunal de revenir sur sa décision, comme quoi, elle sait vraiment de quoi elle parle.

Sur le fond, on peut en effet s'opposer à l'esprit de la décision. Au mieux, il s'agit de réduire une femme à un objet, comme une voiture ou un appartement, pour lesquels on peut annuler le contrat de vente pour "vice caché", sachant que l'on peut jouer ici sur les mots et l'ambiguïté du terme "vice". Au pire, on peut penser que des pratiques et traditions propres à une religion s'imposent à la république laïque. Les deux époux étant musulmans, la justice Française ne fait que cautionner des relations homme-femme décrites dans le Coran, où l'on parle bien souvent de "prisonnière", pour nommer l'épouse, et énoncer les droits de l'époux à son égard. Et puis, le mari, lui, il était vierge ? On lui a demandé de l'être ? "Mais non, moi je suis un homme! C'est elle la tentatrice qui a le diable dans le corps!"

Sur la forme, et la lettre, la décision est assez incontestable : elle n'a pas été prononcée pour des motifs religieux, mais bien au nom de l'article 180 du code civil, qui dit : "s'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage". La mariée a bien menti sur sa virginité, si bien que le consentement du mari peut être considéré comme non-libre, sous-entendu, pas assez bien éclairé pour être libre. On peut donc se dire "consterné", il n'empêche que le juge ne fait qu'appliquer la loi, selon la marge d'interprétation que lui laisse le texte. On ne va quand même reprocher au juge d'interpréter la loi! Certes, il y a des lois parce que les hommes sont imparfaits, mais il y a des juges pour adapter les règles générales aux cas particuliers. On ne passe pas en justice comme on passe son code de la route, et il serait tout aussi discutable qu'un juge applique un loi de manière aveugle et irréfléchie, ou encore "mécaniquement".

platon2C'est le texte qu'il faudrait donc revoir, pour plus tard, plutôt que la décision du juge. Et tout le problème de ce texte tient dans la notion de "qualité essentielle de la personne". Comme souvent, c'est flou ou ambigu. La jurisprudence précise ce qu'on peut entendre par "qualités essentielles de la personne" : "la poursuite d'une relation extraconjugale", "divorcé", "condamné de droit commun", etc. Bref, on n'est pas plus avancé. Qu'est-ce qu'une qualité essentielle ? Depuis la philosophie antique, et notamment chez Platon et Aristote, l'essence d'une chose, c'est sa nature; ce qui fait qu'une chose est ce qu'elle est, et sans quoi, elle n'est plus. Par suite, on distingue deux genres de qualités : d'une part les qualités "essentielles", relatives à l'essence d'une chose. Par exemple, le fait d'avoir des pieds est une qualité essentielle d'une table. Si on lui retire,ce n'est plus une table (mais une planche). D'autres part, il y a les qualités "accidentelles", qui ne constituent pas la nature même de la chose. Par exemple, le fait qu'une table soit en bois, plutôt qu'en fer, n'empêche pas qu'elle soit une table. Le problème, c'est que si je parle de cette table-ci, en particulier (que mes parents l'ont acheté pour mon entrée au lycée), on peut considérer que le fait qu'elle soit en bois soit une qualité essentielle de cette table, parce que c'est bien cette qualité qui fait de cette table ma table, et pas une autre, celle sur laquelle j'ai passé du temps, qui ne ressemble à aucune autre, etc. On comprend donc que, même en métaphysique (ou en philosophie), la notion d'essence pose des problèmes.

Qu'en est-il pour cette épouse ? Le même problème se pose : quand on parle des "qualités essentielles de la personne", il faut savoir s'il s'agit de la personne humaine en général, ou de cette personne-là, en particulier. S'il s'agit de cette personne-là, la question est de savoir pourquoi son futur mari veut l'épouser elle et pas une autre. Est-il amoureux d'elle ? Et si oui, pourquoi ? Parce qu'elle est vierge ? Si ce n'est que cela, il y en a plein d'autres, des vierges. Ce n'est donc pas une qualité essentielle de cette femme, qui la distingue de toutes les autres. On peut aimer une personne pour son caractère, sa gentillesse, sa beauté même, si on veut. Ce qui devrait compter, c'est tout ce qui fait la particularité de la personne. Donc, pas la virginité.

S'il s'agit de la personne humaine en général, peut-on dire que la virginité est une qualité essentielle ? Est-on moins humain parce qu'on n'est pas vierge ? Ou moins femme parce qu'on n'est pas vierge ? La femme serait donc un simple objet sexuel/future mère, qu'il faut acheter neuf et pas d'occasion ? Un avocat de mes amis a eu l'excellente idée de limiter les qualités essentielles à l'intimité. On ne peut pas reprocher à une personne d'avoir menti sur son intimité, dans la mesure où, par définition, ça ne regarde personne d'autre qu'elle. Voilà ce qui est essentiel à la personne humaine : c'est de ne pas la réduire à un objet et un animal, et considérer qu'il y a des choses qui n'appartiennent qu'à elle, en bref, qu'elle est libre. Quant à savoir où s'arrête l'intimité, notre ami avocat la limite à la santé publique, histoire de ne pas tout mettre dans le même panier. A partir du moment où le secret sur ses "qualités" intimes ne mettent personne en danger, elle n'est pas tenue de les révéler.

Voilà quelques idées pour réformer le code civil, sans doute...