jeudi 23 décembre 2010

Conte de Noël (chapitre 2)

La neige continuait à tomber mais il n’y avait aucun bruit. Le silence. On entendait tout juste le souffle du vent qui balayait un peu le sol enneigé sous forme de poussières. Soizic sentit d’abord que des gouttes froides lui mouillaient le visage. Elle ouvrit un peu les yeux et découvrit que de la neige tombait sur ses joues, sa bouche, son front. Sa vision du monde se réduisait un peu à la nuée de flocons blancs qui venaient mourir sur sa peau car il n’y avait pas un bruit. Allongée sur la neige humide, elle se sentait incapable de faire le moindre mouvement. Un peu abrutie, elle réussit quand même à tourner la tête sur le côté pour tenter de savoir où elle se trouvait. Son regard se porta d’abord sur un brin d’herbe situé tout à côté de sa tête qui sortait un peu de la neige. Au-delà, il n’y avait que du blanc et pas un bruit. Seule au monde, Soizic crut d’abord apercevoir sa voiture un peu plus loin. Mais peu à peu, la neige qui continuait à tomber en silence recouvrit l’épave, jusqu’à la faire disparaître. Plus aucune forme ne se distinguait au milieu de ce paysage blanc, sinon quelques arbres aux branches rachitiques, là-bas. Et une ombre qui s’approchait.

Soizic avait d’abord cru voir les arbres bouger. Mais il lui apparut de plus en plus clair qu’une silhouette à la forme vaguement humaine se détachait du reste. D’abord assez lointaine et trouble, elle avançait sans faire aucun bruit. Elle ne marchait pas vraiment, mais semblait plutôt glisser sur le sol. Soizic sentait bien qu’elle aurait pu être effrayée si elle en avait eu la force. Mais elle demeurait incapable du moindre mouvement. Elle s’abandonna donc à son sort et laissa la chose venir à elle. A mesure que l’inconnu s’approchait, ses traits se précisaient et Soizic finit par reconnaître son père. Pour la première fois, il lui souriait, si bien qu’il ressemblait à peine à celui qu’elle avait connu.

Papa ?

Il souriait mais ne disait rien, comme s’il lui était impossible de parler ou plutôt, comme si un mur invisible l’empêchait de se faire entendre. Et puis, au lieu de rejoindre Soizic étendue sur le sol, il la contourna un peu avant de poursuivre son chemin. Elle, toujours engourdie, ne parvint pas à tourner la tête pour le suivre du regard. Elle s’est bien crue abandonnée. Là, le petit brin d’herbe qui apparaissait encore tout près d’elle se mit à croître. D’abord de manière imperceptible, puis de quelques centimètres, jusqu’à atteindre une hauteur d’homme. Sans trop savoir pourquoi, Soizic saisit la plante grimpante grâce au peu de force qui lui restait. La tige l’aida ainsi à se relever, jusqu’à ce que ses pieds quittent le sol. Elle finit par s’envoler et montait vers le ciel, accrochée à l’herbe comme à la ficelle d’un ballon.

La plante cessa de grimper au moment où Soizic arriva au niveau des nuages. A peine étonnée, elle lâcha son bâton de pèlerin vivant pour poser le pied à terre. La sensation de marcher sur un nuage lui parut familière. Le sol craquait sous ses pieds comme de la neige. Après s’être ainsi assurée de son pas, Soizic releva la tête pour regarder l’horizon et aperçut son père, le regard serein et le sourire tranquille. Elle pressa un peu le pas et crut bien se retrouver dans le fameux générique de l’émission de son enfance où un papa, une maman et leur fille aux cheveux blonds tombent du ciel dans la douceur du bonheur familial. Mais à mesure qu’elle s’approchait de son père, elle remarquait quelques changements d’expression sur son visage. Il plissait les yeux et fronçait un peu les sourcils, comme pour régler sa vue. Il commençait tout juste à distinguer les traits de Soizic. Dès qu’il la reconnut, il perdit son sourire et afficha l’expression de déception qu’on doit avoir quand on ouvre un cadeau qu’on ne désire pas.


Ah ? C’est toi, s’étonna-t-il. Attends, laisse-moi deviner...Je parie que tu t’es suicidée.

Fin

mercredi 22 décembre 2010

Si la vie est cadeau

Besoin d'un cadeau de dernière minute ? Vous avez du mal à trouver Comment ai-je pu croire au Père Noël , victime de son succès ? C'est dommage, réservez-le pour Noël prochain, mais pour cette fois-ci, une solution alternative s'offre à vous : Si la vie est cadeau, 12 bonnes nouvelles. Et en plus, Paris-Normandie dit que c'est bien :-)

Paris-Normandie du 20/11/2010

lundi 20 décembre 2010

Conte de Noël (chapitre 1)

– Du café ?

Le coude posé sur la table, Soizic regardait la télé comme quand elle était petite. Rien n’avait changé dans le logis que son père avait quitté depuis longtemps. Il était parti quand Soizic avait dix-huit ans avec Jennifer, une copine de sa classe. Depuis, sa mère vivait seule dans cette maison de ville en brique, collée à d’autres maisons de ville en brique, rue Ledieu, à Amiens. On passait ses journées dans une seule pièce. Toujours la même table branlante qui prenait toute la place, recouverte d’une toile cirée usée par les traces de tasses à café. La pièce était d’autant plus étroite que deux vaisseliers l’encombraient, remplis d’assiettes peintes venues d’alsace. La télé allumée en permanence était décorée d’un napperon et des bibelots en faïence traînaient un peu partout. Un chien rose, un pot de chambre aux formes végétales. En dehors de cette salle, il y avait une cuisine qui sentait le beurre fondu, deux chambres qui puaient la naphtaline et un toilette au carrelage froid, très désagréable pour les pieds nus le matin.

Soizic n’avait jamais aimé cette maison. Une ambiance permanente de dimanche après-midi pluvieux. Quand elle pensait à son enfance, elle se souvenait surtout s’être ennuyée. La seule chose qu’elle avait jamais eue à faire était de regarder la télé. Des heures devant L’île aux enfants quand elle revenait de l’école les soirs de semaine et surtout, Les visiteurs du mercredi, l’émission d’où lui venait son prénom que ses parents avaient choisi à cause de Soizic Corne. Les seuls souvenirs un peu agréables de Soizic étaient dans la télé, comme le générique de l’émission où l’on voyait des personnages animés s’envoler. A force de s’absorber dans ces images, elle était parvenue à oublier la réalité alentours et la vie qui se déroulait dans la maison.

La mère de Soizic ne lui avait jamais montré d’affection. Du moins, elle ne se souvenait pas avoir reçu le moindre baiser. Il lui semblait que cette mère n’avait jamais souri et avait une manière toujours agacée de lui lancer des remarques purement utilitaires ou inutiles : « veux-tu enlever ton coude de la table !» « T’as relevé le courrier ?» Le père de Soizic l’avait un peu battue, même avec une chaîne de vélo, une fois. Elle avait donc été plutôt soulagée quand il était parti et peu affectée lorsqu’il avait fini par mourir d’un cancer quelques temps après. Soizic aussi était plus ou moins partie de la maison, mais pas vraiment. Elle était prof de comptabilité dans un lycée professionnel de Normandie mais rentrait tous les week-ends chez sa mère. Il faut dire qu’elle était seule, sans doute parce qu’elle manquait de charme et de conversation.

– Non, non, pas de café. Je dois y aller de toute façon.

A trente-six ans, elle était déjà une vieille fille. Elle s’habillait comme une mamie avec des robes en laine marron et ses joues étaient gâtées par des couperoses. Tous les week-ends, elle passait son temps avec des vieux, les amis de sa mère. Les seuls rendez-vous intimes qu’elle obtenait étaient ceux de son thérapeute auquel il fallait une semaine pour se remettre psychologiquement d’une conversation avec Soizic. Sa conversation se réduisait à passer en revue tous les gens malheureux qu’elle connaissait plus ou moins. Ceux qui avaient un cancer, la cousine machin qui avait perdu sa fille dans un accident de cheval ou l’amie de sa mère qui commençait à avoir la maladie d’Alzheimer. Quand elle achetait le journal, Soizic se précipitait sur les faire-part de décès pour voir si elle connaissait des gens qui étaient morts et regardait l’âge qu’ils avaient.

Tu ne veux pas un peu de restes de poulet pour ton dîner?

Non, ça va. J’ai une boîte de raviolis. Allez, à la semaine prochaine.

Soizic monta dans sa voiture. C’était l’hiver, un dimanche soir et elle avait bien deux heures de route enneigée pour repartir dans le trou normand où elle travaillait. Mais elle n’avait aucune envie d’y retourner. Elle pleurait tous les matins, même devant ses élèves qui se moquaient d’elle. Toujours dépassée, Soizic enchaînait les arrêts-maladie et sinon, restait le moins possible en classe. Elle traînait dans la salle des profs, se plaignait de migraines, arrivait en retard, partait en avance et ses collègues aussi se moquaient d’elle.

Au volant de sa petite voiture, elle devait donc penser à la semaine qu’elle allait passer. Elle s’est engagée dans une portion de route qui descendait. Comme il y avait un virage, elle n’a sans doute pas vu le camion qui était devant elle. Elle a cherché à éviter le poids lourd en braquant brusquement à droite, et sa voiture est partie dans la ravine en contrebas de la route. La Clio qu’elle n’avait pas fini de payer a dû faire deux ou trois tonneaux dans le fossé. Elle s’est finalement arrêtée sur ses roues comme un chat retombe sur ses pattes, mais le toit était très enfoncé dans l’habitacle. Le cou de Soizic était complètement tordu sur le côté. Etait-elle morte ?

à suivre

jeudi 16 décembre 2010

Interview de Gilles Vervisch sur Europe 1

Entretien avec Pierre-Louis Basse à propose du livre
Comment ai-je pu croire au Père Noël?



mercredi 17 novembre 2010

Eutepéh

Eutepéh n.m. individu fictif unitaire pouvant être la somme d'individus réels fractionnés, ou bien un individu réel entier, on s'en fout, du moment qu'il bosse

L'eutepéh (qu'on trouve parfois sous la forme ETP) est un équivalent temps plein. Il est né quand est mort le travailleur, le jour même où le directeur des ressources humaines (ou déherrache) a assassiné le chef du personnel pour prendre sa place. Parce que chef du personnel, ça fait trop impersonnel, justement, pas assez humain, et puis dans chef du personnel, il y a chef, et chef, ça fait un peu arbitraire. Alors que directeur des ressources humaines, c'est plus joli, moins abrupt. Déjà, directeur, ça fait le gars qui raisonne, qui arrange les choses après les avoir pensées, qui ordonne selon une stratégie réfléchie, contrairement au chef qui donne des ordres sans se demander s'ils ont un sens. Et puis dans directeur des ressources humaines, il y a humaines, et ça c'est bien, ça replace l'humain au centre de l'entreprise, c'est joli, et ça fait plaisir au personnel, qui se sent tout de suite plus considéré. Ouais, directeur des ressources humaines, c'est bien plus chouette que chef du personnel.

Bon, certains esprits chagrins opposeront que dans directeur des ressources humaines, il y a aussi ressources. C'est vrai que, vu comme ça, on peut avoir un peu l'impression que l'humain, bien que placé au centre de l'entreprise, y est alors perçu comme une ressource, une matière première, au même titre que, je ne sais pas, le bois, le parpaing ou l'électricité. Un truc passif, quoi. Alors que le travailleur, au contraire, c'était le gars acteur de l'entreprise, celui qui apportait quelque chose par son travail, par ce qu'il faisait, pas juste parce qu'il était bien placé là où on l'avait placé, comme un parpaing, un bout de bois, ou un fil électrique. Oui, certains esprits chagrins opposeront ça. Ah là là, ce qu'ils peuvent être taquins, à tout le temps opposer des trucs, les esprits chagrins...

L'eutepéh, on l'a dit, est donc un être fictif, qui est aux ressources humaines ce que le travailleur était au personnel. Il représente la capacité de travail de ce qu'était un travailleur auparavant. Il est possible, dans certains cas, que l'eutepéh et le travailleur soient confondus. Mais ce n'est pas nécessaire. Un eutepéh peut très bien être constitué, par exemple, d'un salarié à mi-temps et d'un autre gars partiellement affecté à la même tâche. Fractionner ainsi les êtres réels pour en faire des êtres fictifs, c'est quand même bien pratique pour la gestion de projet, quand il faut prioriser les ouorquepaquaiges, surtout si en les priorisant on constate qu'il faut en dégager un, c'est quand même plus humain de supprimer un eutepéh que de virer un travailleur. Et tant pis pour les esprits chagrins qui opposeraient que ça déshumanise un tout petit peu l'humain.

mardi 16 novembre 2010

Renomination

Renomination n.f. action de nommer derechef quelqu'un à un poste qu'il occupe déjà

Rendons tout d'abord justice à Christine Lagarde, éhontément accusée d'avoir commis une bourde en expliquant que le nouveau gouvernement était absolument révolutionnaire, étant donné que le principe d'une révolution est d'effectuer un tour complet à 360°. C'est d'une part tout-à-fait rigoureux (en tout cas pour ce qui concerne la définition de la révolution, celle de l'adjectif révolutionnaire dérivant uniquement d'une autre acception du substantif), et cela confirme d'autre part non sans un certain humour l'impression que tout le monde, sauf peut-être Christian Estrosi (dont on peut regretter qu'il ait échappé à la vague des renominations, cela étant, avec l'arrivée de Frédéric Lefebvre, ils vont quand même avoir encore des occasions de rigoler, au conseil des ministres) , a eue : exécuter un tour complet, c'est en définitive ne rien changer après avoir pendant le mouvement brassé un peu d'air. Christine Lagarde n'a donc pas sorti une énormité, elle s'est en fait ouvertement foutu de la gueule de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, ce qui compte-tenu de sa propre renomination est toutefois, il convient de le noter, la preuve d'une certaine ingratitude. Ou alors elle ne l'a pas fait exprès, mais il est raisonnable d'en douter.

La renomination, donc, est un affreux néologisme remis à la mode, en raison des conceptions sarkoziennes de la révolution qui ont conduit à reconduire François Fillon au poste de Premier Ministre, par la cohorte des observateurs de la vie politique. Oh, certes, cette abjection vocabulistique n'est pas si nouvelle, mais songez donc que pour 27900 références sur Google (pages en français) pour la dernière année, près de la moitié (13000) datent de moins d'une semaine. Voilà bien une preuve, s'il en fallait encore, que la richesse du vocabulaire des journaleux n'est désormais plus affaire que d'effets de mode.

lundi 8 novembre 2010

Premier-ministrable

adj.- 2010; de primus "premier" et minister "serviteur". Susceptible de devenir premier ministre.

Notons que l'adjectif "ministrable" existe déjà. Pourquoi pas "premier ministrable"? C'est sans doute qu'on qu'on a moins l'occasion de se poser la question de savoir: "mais qui est donc susceptible de devenir premier ministre?" D'abord, parce qu'on renouvelle moins souvent le premier ministre que les autres membres du gouvernement - c'est quand même le dernier fusible à faire sauter. Ensuite, parce que, comme son nom l'indique, il n'y a qu'un seul premier ministre, tandis qu'il y a un nombre indéfini de ministres et on peut même inventer des portefeuilles nouveaux comme "de l'immigration". Enfin, si beaucoup de gens peuvent bien être "ministrables", c'est que cela ne demande pas d'aptitudes particulières, apparemment. Lors d'un "remaniement", les uns et les autres s'échangent leurs portefeuilles, ce qui signifie bien qu'aucun n'avait de vocation particulière à exercer la fonction qui était la sienne.

Quant au Premier ministre, il est nommé par le Président de la République. Un Premier-ministrable est donc quelqu'un auquel on estime - "on" désignant les journaleux - que le Président de la République peut penser; quelqu'un dont le Président peut évoquer le nom, une fois; auquel il peut rêver en se rasant. Mais au fond, on découvre que si le Premier ministre est nommé par le Président, le premier-ministrable est quant à lui nommé par les journalistes. C'est celui dont ils veulent parler, qu'ils verraient bien à Matignon, sans avoir demandé son avis à personne. Et ce, jusqu'à ce qu'un autre soit évidemment nommé premier-ministre ou que personne ne le soit. En attendant, on a bien rigolé avec le premier-ministrable qui peut donc être n'importe qui,




mais vraiment, n'importe qui...

jeudi 28 octobre 2010

Si la vie est cadeau

Une jeune femme ne peut faire l'amour que lorsqu'on lui lit la Philosophie de l'esprit de Hegel, tandis qu'une autre transfère peu à peu toute son affection sur son élevage de crevettes... Un photographe se livre à une complète cartographie des corps... Une famille embarque un étranger dans une visite à un grand oncle qui vit dans une maison étrangement vide... Une âme en peine refuse de dîner devant un homme qu'elle vient de rencontrer - pourquoi se met-elle subitement à chanter l'air enfantin de Si la vie est cadeau ?...


Si la vie est cadeau - 12 bonnes nouvelles
, recueil collectif de nouvelles (dont une de moi, celle avec les crevettes) aux éditions Max Milo, dans la collection Condition Humaine. Dans toutes (ou presque) les bonnes librairies à partir du 4 novembre (si j'ai bien tout suivi).

mardi 26 octobre 2010

Dilemne

Dilemne n.m. Situation dans laquelle on est tellement tiraillé entre deux options contradictoires qu'on en oublie comment le mot décrivant cette situation s'écrit réellement.

Dilemme venant du bas-latin dilemma, lui-même issu d'un mot grec qui en alphabet normalement lisible se retranscrit dilêmma (c'est-à-dire exactement pareil avec juste un accent circonflexe histoire se la péter, on est helléniste ou on ne l'est pas), il est à peu près évident qu'il n'y a strictement aucune raison pour l'écrire dilemne plutôt que dilemme.

Il est donc légitime de se demander pourquoi beaucoup de gens (moi-même étant jeune j'étais persuadé qu'il y avait une erreur dans le titre de l'album du Scrameustache illustrant cette entrée du DDMQEP(eqouqm), mais il faut dire que j'étais, grâce à la lecture de Bob et Bobette, fortement sensibilisé aux fautes d'orthographe dans la bande dessinée, mais ceci est une autre histoire évoquée ici), pourquoi beaucoup de gens, donc, s'acharnent à préférer l'utilisation du mot qu'existe pas dilemne à celle du mot qu'existe dilemme. Vraisemblablement parce que c'est un mot compliqué (y a qu'à voir sa définition dans le Robert, qui lui propose comme synonyme l'incompréhensible expression syllogisme disjonctif), et qu'il est difficile d'admettre qu'un mot compliqué puisse s'écrire simplement. Vraisemblablement. Ou pas.

Ce qui est le plus amusant en fait avec dilemne, c'est qu'il est fort probable que ce mot qu'existe pas soit amené à tomber en désuétude rapidement au bénéfice de dilemme, depuis que l'année 2010 a vu ce mot devenir la proie des producteurs de télé-réalité (on se souviendra, de préférence pas, mais c'est une éventualité à craindre, de l'émission Dilemme de W9, ou des terrrribles dilemmes proposés par La Voix aux candidats de Secret Story 4). Il y a donc fort à parier que la génération des kikoolol essémessistes semi-cérébrés et partiellement analphabètes maîtrise mieux ce mot que les précédentes (mais, corollaire inévitable, qu'ils l'emploient à mauvais escient à tout bout de champ). N'est-ce pas cocasse ?

mardi 21 septembre 2010

Menaçable

Menaçable adj. Susceptible de pouvoir éventuellement être potentiellement mis en danger. Au conditionnel.

"Il est remplaçable comme tous les entraîneurs d'un grand club mal classé. Il est menaçable, mais pas menacé", a dit hier Jean-Michel Aulas, président de l'OL, à propos de Claude Puel, entraîneur de l'OL. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que généralement, quand un club de football a de mauvais résultats, c'est exclusivement du fait de l'entraîneur, ni les joueurs ni les dirigeants ne pouvant en être tenus pour responsables, et que par conséquent c'est généralement l'entraîneur qui en fait les frais en se faisant licencier. Or donc l'Olympique Lyonnais, depuis le début de la saison, a de mauvais résultats. C'est donc tout naturellement que des journalistes demandent à Jean-Michel Aulas si et quand il compte virer Claude Puel, même s'il est évident qu'il ne leur répondra pas. C'est aussi ça, être journaliste sportif. C'est donc tout aussi naturellement qu'Aulas leur répond n'importe quoi, en inventant des mots qu'existent pas (et qu'il utilise quand même). Claude Puel est donc menaçable. Bien.

Menaçable, logiquement, doit s'entendre comme susceptible d'être menacé. Ou encore menacé d'être menacé. Autant dire que Claude Puel, à en croire Jean-Michel Aulas, ne risque pas grand chose, quasiment rien, même. Car quand on est menacé, il faut bien comprendre que le pire n'est déjà pas certain, il est simplement possible, voire à craindre. Quand on est menaçable, normalement, c'est beaucoup plus tranquille, car la menace elle-même n'est qu'éventuellement envisageable. De quoi dormir tranquille, en définitive.

Sauf qu'il est bien évident que dans le langage médiatico-sportif, menaçable signifie en réalité : "Evidemment que je vais te me la virer fissa cette grosse buse. laisse moi juste le temps de trouver quelqu'un d'un peu moins mauvais pour le remplacer, on a un standing à retrouver, je vais quand même pas engager Jo le Clodo, encore que ça serait pas forcément pire. Et on peut bien gagner 28-0 contre Saint-Etienne ce week-end, rien à battre, il dégage, c'est réglé. Au fait, il fait quoi, en ce moment Luis Fernandez ? T'as pas son numéro ?"

lundi 20 septembre 2010

Prioriser

Prioriser v. tr. décider qu'est-ce qu'il faut faire en premier, parce que bon, faut être réaliste, on va pas pouvoir tout faire, et si on regarde bien, les autres trucs, et bah finalement c'est pas qu'on s'en tamponne, mais pas loin

Retour dans le monde merveilleux de la gestion de projet. Après le quiquoffemitinngue, quand on a bien défini les ouorquepaquaiges et les délivrables, vient immanquablement (du moins est-on en droit de l'espérer) le moment où, finalement, on se met à bosser. Et c'est précisément là qu'on se retrouve confronté à un problème qu'il faut bien solutionner d'une manière ou d'une autre : on a vu trop large, et on n'a que fort peu de chances de pouvoir respecter toutes les dèdelaïnes, car tout a déjà pris du retard.
La seule chose à faire dans ce cas inévitable consiste à imprimer le diagramme de Gantt et à stabiloter les tâches les plus importantes, celles qu'il faut absolument accomplir, fût-ce au détriment d'autres qu'on avait initialement considérées comme tout aussi importantes, sinon on ne les aurait pas mises au départ, évidemment. C'est-à-dire qu'on se trouve contraint de rééquilibrer la toudouliste.

Cette action porte un nom dans le langage courant : l'établissement d'une hiérarchie des priorités. Il s'agit là d'un concept assez complexe, dans lequel tout ce qui était prioritaire reste évidemment prioritaire, mais avec des degrés de priorité différents (pour le commun des mortels, cela revient à dire qu'en fait certaines choses ne sont plus du tout prioritaires, voilà bien la preuve de l'étroitesse d'esprit du commun des mortels). Dans le monde de la gestion de projet, on se veut efficace, donc on ne va jamais parler d'établir une hiérarchie des priorités, c'est trop long à dire. Non. On va plutôt prioriser. Et quelque part, on ne s'en sort plutôt pas trop mal, parce qu'on n'est vraiment pas passé loin de prioritiser, ce qui aurait été, vous en conviendrez, encore plus odieux.

jeudi 9 septembre 2010

Polipansioné

adj. et n. Envahi par des constructions de colons Israéliens...ou pas.

A l'instar des supraïme, greunèl et autre chainnainain, le terme polipansioné fait partie de ces mots apparus du jour au lendemain dans le vocabulaire politico-médiatique et qui présupposent que tout le monde les connaît depuis longtemps.

Le terme a fait surface à l'occasion des débats et manifestations sur la réforme des retraites. En bref, le gouvernement indique qu'il ne reviendra pas sur l'âge légal de départ à la retraite, mais qu'il est prêt à discuter sur certains points: la pénibilité, les carrières longues ou les ..."polipansionés". Quezaco? Les politiques reprennent le terme à la télé et les journalistes le relayent aussi, comme s'ils le connaissaient depuis toujours.


Personnellement, je ne connaissais pas le mot avant hier, alors, je conjecture. D'un point de vue étymologique, on pourrait dire que le terme est composé:
- du préfixe grec polis qui signifie "ville", comme dans policlinique (la "ville clinique" où l'on trouve toutes les commodités au moment de partir à la retraire à 67 ans)
- du grec pantos qui signifie "tout" et que l'on retrouver dans pandémie ou paneuropéen.
- de Sion, une montagne de Jérusalem représentant la Terre Promise des juifs et que l'on retrouve dans sionisme.

Du coup, le terme polipansioné pourrait signifier: ville entièrement occupée par des israëliens. En même temps, on a du mal à voir le rapport avec les retraites. Mais c'est ce qui arrive, quand les politiques balancent des mots pour montrer qu'ils connaissent bien leur dossier et que les médias les reprennent sans les expliquer, pour faire croire qu'ils le connaissent aussi. Résultat, personne ne comprend rien à rien. L'essentiel étant toujours de faire croire qu'on sait de quoi on parle.

vendredi 3 septembre 2010

Roms: ONU soit qui mal y pense

On s'insurge volontiers lorsque des chefs d'Etats ignorent ou méprisent les décisions et résolutions de l'ONU. Lorsque "Doubeule You" attaque l'Irak contre l'avis du conseil de sécurité; lorsque Mahmoud Ahmadinejad déclare que les sanctions de l'ONU contre l'Iran et son programme nucléaire sont "bonnes pour la poubelle". Pourquoi? Parce qu'on a le sentiment, voire la juste conviction que l'ONU, quels que soient ses défauts, a le mérite d'exister en tant qu'institution internationale propre à assurer la paix ou du moins, le dialogue entre les différents pays. Quand on agit sous l'autorité et au nom de l'ONU, on est légitime. Pourquoi? Parce qu'il s'agit de l'assemblée des nations. Se conformer à résolution de l'ONU, c'est respecter la décision de cette assemblée dont on fait soi-même partie - en tant que pays.

L'attitude donc, qui consiste pour un pays ou un chef d'Etat à agir en ignorant ou en exprimant son mépris à l'égard de cette institution, nous paraît rétrograde. C'est un peu comme si un hors-la-loi prétendait qu'il désobéit à la loi pour la simple raison qu'il ne reconnaît pas son autorité et sa légitimité. Pourtant c'est mieux que rien. Avant l'existence d'institutions et d'instances internationales, chaque Etat, chaque pays était maître de ses décisions et de sa politique, aussi bien intérieure qu'extérieure. Si on n'était pas d'accord avec le sort que la loi d'un pays réservait aux femmes ou aux enfants, on ne pouvait que le regretter. Et si l'on était contre l'invasion d'un Etat par un autre, on n'avait d'autre moyen que la force militaire pour l'empêcher. Pourquoi? Parce qu'aucune voix ou autorité située au-dessus des différents Etats n'existait pour dire ce qui était bon ou mauvais, juste ou injuste, pour tout le monde. Le grand tournant de l'Histoire est sans doute le procès des chefs nazis à Nüremberg. On s'est dit: "là, il y a quelque chose qui a été fait et qu'on ne peut accepter; qu'il faut se donner les moyens d'empêcher, parce que c'est mal pour tout homme, quel que soit son pays". En bref, on a découvert que le meilleur moyen d'empêcher les uns ou les autres de faire n'importe quoi, c'était de mettre en place une autorité située plus ou moins au-dessus des différents Etats.
Conséquences? les pays quis e prétendent plus ou moins démocratiques se doivent de reconnaître l'autorité et la justesse des décisions de l'ONU. Et ceux qui s'y refusent, comme l'Iran ou la Chine, peuvent paraître, aux yeux de nombreuses nations, comme s'excluant carrément de ce processus par lequel on tente d'instaurer la paix.

La République Française, membre du club très fermé du conseil de sécurité de l'ONU, a l'habitude de se référer à l'ONU comme à une institution repère de ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Ici, on juge de l'autoritarisme du régime Iranien à la mesure de son mépris de l'ONU - "bonnes pour la poubelle". En ce sens, un groupe du Sénat chargé de réfléchir sur le tibet déclare volontiers que l'une des mesures propres à améliorer la situation du peuple tibétain consisterait à "Contribuer à dégager une majorité à la Commission des droits de l'homme de l'ONU pour évoquer sérieusement la situation au Tibet." Là encore, on en appelle donc à l'ONU et on semble bien penser qu'elle est l'instance légitime, pertinente et efficace, lorsqu'il s'agit de faire changer la politique d'un pays- en l'occurence, la Chine.

Alors, comment ces responsables politiques, gouvernants français, etc. peuvent-ils dénoncer comme "caricatural" et "excessif" un rapport de l'ONU sur les discriminations de la France dans sa politique vis-à-vis des Roms? "Caricatural" ou "bon à jeter à la poubelle"; c'est pareil! On peut donc bien s'indigner du mépris ou de l'ignorance que certains chefs d'Etats manifestent à l'égard de l'ONU, on peut remarquer qu'on agit exactement de la même manière quand on est certain de son bon droit. Mais justement, l'ONU a été mis en place pour que l'idée de son bon droit ne soit plus abandonné aux chefs d'Etats, mais défini de manière majoritaire voire unanime, par tous les pays, en même temps. Ainsi, on remarque qu'il faudra encore faire beaucoup d'efforts pour que les pays reconnaissent le bien fondé du droit international propre à garantir la paix. Y compris en France, où l'on en vient facilement à avoir la conviction d'avoir raison contre tous, ni plus ni moins que le Président iranien. Que peut-on lui reprocher si on fait la même chose?

"La nature pousse les Etats...à sortir de de l'absence de loi propre aux sauvages pour entrer dans une Société des Nations dans laquelle chaque Etat, même le plus petit, pourrait attendre sa sécurité et ses droits, non de sa propre force ou de sa propre appréciation du droit, mais uniquement de cette Société des Nations, c'est-à-dire d'une force unie et de la décision légale de la volonté unifiée".


Emmanuel KANT, 1784.

dimanche 18 juillet 2010

Maline

Maline adj. f. qui aurait éventuellement pu inventer le fil à couper le beurre

Il y a tellement de gens qui utilisent le mot maline qu'on aurait tendance à croire qu'il s'agit bien d'un mot qu'existe et qu'il s'écrit et se prononce bien ainsi. Alors que non, le mot qu'existe c'est maligne, qui se prononce bien avec un gnieu, comme dans bénigne. Lorsqu'ils sont pris en défaut pour utiliser quand même ce mot qu'existe pas, certains petits malins n'hésitent pas à affirmer sans vergogne et sans trembler du menton qu'en fait si, les deux existeraient, et que l'un des deux (au choix selon l'inspiration) serait le féminin de malin dans le sens d'astucieux ou roublard tandis que l'autre serait celui de malin dans le sens de nocif ou diabolique. Dit sur un ton bien péremptoire, l'explication peut effectivement produire un bel effet et abuser l'interlocuteur, mais le procédé est honteux.

samedi 12 juin 2010

Mieux vaut tard que jamais

Etats-Unis/Angleterre

Match retour de la guerre d'indépendance américaine de 1775.

Vs












Le match aller a été remporté par les Etats-Unis et la reine n'est pas contente!
"Je reviendrai" a-t-elle dit. "On va se les faire ces ricains!" Au moins, il est certain que 235 ans auront permis a l'Angleterre de régler son jeu, contrairement à la France qui est toujours en phase de préparation alors que la compétition a déjà commencé.

samedi 5 juin 2010

Nouvel Obs n° 2378 du 3 au 9 juin 2010

La philosophie dans le vestiaire Par Aude Lancelin

...jamais le football n'a suscité autant de passion chez les intellos. Et de polémiques. A la veille de la Coupe du Monde, Aude Lancelin passe leurs essais en revue...

Son engouement persistant pour le foot, Finkielkraut le vit avant tout avec son fils de 21 ans qui l'appelle parfois depuis Los Angeles pour deviser en direct sur un match. « C'est pure hypocrisie ou snobisme social que de nier pour nous le pouvoir de divertissement et d'amusement des choses », s'excuse presque le professeur de Polytechnique en citant « la Crise de la culture ».

Aucun scrupule de cette sorte en revanche chez les trentenaires. Ainsi Gilles Vervisch, agrégé de 36 ans, fait paraître sans rougir une petite philosophie du football : « De la tête aux pieds »(Max Milo, 14,90 euros). Normalien et agrégé de philo lui aussi, Mathias Roux a fondé avec ses frères en 1994 un club d'amateurs où il tenait le poste d'arrière latéral. « Celui où le "pas bon" fait le moins de dégâts.» A 35 ans, il publie de son côté « Socrate en crampons »(Flammarion, 16 euros).

lundi 24 mai 2010

De la tête aux pieds - Philosophie du football

SORTIE LE 27 MAI

Thierry Henry aurait-il mieux fait de jouer au handball?

Le résultat du match aurait-il été le même si je ne l'avais pas regardé?

Pourquoi dire "on a gagné!" alors qu'on n'était même pas sur le terrain?

Pourquoi les femmes sont-elles incapables de comprendre le hors-jeu?

Eric Cantona a dit un jour: "Quand les mouettes suivent le chalutier, c'est parce qu'elles pensent qu'il jettera des sardines à la mer." A part ça, on ne voit pas bien le rapport entre le football et la philosophie. Pourtant, ce sport internationalement vénéré mérite bien qu’on se penche dessus. Pourquoi, quand onze types qu’on ne connaît ni des lèvres ni des dents gagnent une épreuve sportive, y a-t-il des dizaines de millions d’autres qui pensent avoir gagné quelque chose ? Vous verrez que Cicéron, Aristote, Hegel, Camus et Hobbes ont aussi leur mot à dire sur la main de Thierry Henri, la tête de Zidane ou les pieds de l’arbitre.

jeudi 20 mai 2010

Chronophage

Chronophage adj. qualifie une activité vaine qui fait perdre beaucoup de temps qui pourrait être consacré à autre chose

Chronophage est un mot qu'existe pas (et qu'on utilise quand même) qui appartient à une catégorie somme toute assez rare : celle des mots qui mériteraient d'exister, car il n'en existe aucun pour désigner la même chose. Rappelons que les deux classes les plus courantes de mots qu'existent pas (et qu'on utilise quand même) sont d'une part les mots qui ne servent à rien parce qu'il y en a un autre qu'existe et qui veut dire la même chose (on pensera notamment à inatteignable, inhomogénéité ou encore solutionner), d'autre part les mots dérivés de mots qu'existent mais qui sont trop compliqués à utiliser, du coup on les simplifie, quitte à passer pour un témoin d'une émission de Jean-Luc Delarue (parmi lesquels les verbes croiver, soyer ou taitre), et enfin les anglicismes abominablement francisés chers aux gestionnaires de projets en mal de reconnaissance, comme ouorquepaquaige ou délivrable. Les trois classes les plus courantes ! Les trois classes les plus courantes de mots qu'existent pas sont les mots qui servent à rien, ceux qui remplacent un mot qu'existe et qu'est trop difficile à utiliser, les anglicismes des gestionnaires de projet, et les mots que les journaleux s'approprient d'un seul coup comme un seul homme comme s'ils les connaissaient depuis toujours et restituent tant bien que mal parce que c'est la mode, comme seupraïme ou chainnainain. Les quatre classes les plus courantes... non... parmi les classes les plus courantes de mots qu'existent pas (et qu'on utilise quand même), on retrouve ceux qui servent à rien, ceux qu'en remplacent un trop compliqué, les anglicismes à la con, et les modes journaleuses. Et les dérivations de marque comme gougueuliser ou stabiloter. Et crotte ...!

La preuve est faite, l'établissement d'une classification des mots qu'existent pas (et qu'on utilise quand même) est une activité aussi chronophage que l'établissement de la liste des armes de l'inquisition espagnole.