mardi 12 janvier 2010

Inhomogénéité

Inhomogénéité n.f. hétérogénéité politiquement correcte

Contrairement à ce qui est communément admis, le contraire d'hétéro n'est pas gay-lesbien-trans-bi, mais bien homo. Suivant un principe de réciprocité aisément accessible aux multitudes, le contraire d'homo n'est donc pas inhomo mais bien hétéro. Par suite, il est évident que le contraire d'homogénéité n'est guère inhomogénéité (quasiment 40 000 occurrences sur google) mais bien hétérogénéité. Suivant le principe de réciprocité cité ci-dessus (si, si), le contraire d'hétérogénéité demeure homogénéité, et non point quelque ahétérogénéité ou autre fantaisie aussi inutile qu'inadmissible.

L'on se peut demander pourquoi diable l'inhomogénéité qu'existe pas est quand même utilisée. En effet, l'inhomogénéité est tout de même un mot savant plein de nombreuses syllabes, et il est évident que ceux qui l'utilisent sont loin d'être les mêmes que ceux qui croivent qu'ils soyent, ce dont on peut déduire qu'il est fort probable qu'ils connaissent parfaitement le mot hétérogénéité. Peut-être pour ne pas vexer, ou pour sauver les apparences... Il semble en effet que l'on parle essentiellement d'inhomogénéité lorsque l'on constate, amèrement, l'absence d'une homogénéité qui était attendue (donc une hétérogénéité). Cette néologisation viserait donc à atténuer un constat d'échec, en faisant passer une hétérogénéité patente pour une simple homogénéité imparfaite (qui, rappelons-le, n'est rien d'autre qu'une hétérogénéité, car, abstraction faite de l'échelle d'observation, l'homogénéité est ou n'est pas, point barre, pas de quoi en faire un monologue avec le crâne de Yorick). L'inhomogénéité serait donc une hétérogénéité light, ou du moins politiquement correcte. Fi, de grâce, ne nous laissons point abuser par ce type de nuances illusoires et artificielles !

mercredi 6 janvier 2010

Le mirage égyptien: qu'est-ce que la perception?

Un petit voyage dans le désert égyptien m'a permis de voir enfin un "vrai" mirage. La plupart des gens en ont souvent vu l'été, sur les autoroutes des vacances: on aperçoit, au loin, une sorte d'étendue d'eau sur le bitume, qui n'est rien d'autre qu'une illusion d'optique produite par la réfraction de la lumière. Quand on évoque les mirages dans le désert, on a tendance à penser à une oasis. En plus de l'étendue d'eau, on imagine de l'herbe, un palmier, etc. Mais comme on le voit sur cette photo, l'image de l'oasis en plein désert est un peu exagérée, puisqu'en réalité, le phénomène n'est pas différent du mirage autoroutier.

1.
Pourtant, on comprend assez bien pourquoi celui qui est dans le désert croit voir une oasis: il a soif, il a chaud. Du coup, il imagine que ce qu'il voit au loin est un point d'eau pour boire, entouré par de l'herbe fraîche qui pousse à l'ombre d'un palmier. Qu'est-ce qu'une illusion? Freud la distingue de la simple erreur en précisant que "ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains". On voit ce qu'on veut voir, on entend ce qu'on veut entendre. Tout le monde a déjà cru entendre le téléphone sonner en attendant un coup de fil important et l'amoureux transi croit voir la jolie brune, objet de ses désirs, un peu partout. L'illusion consiste à prendre ses désirs pour des réalités; à projeter ses désirs sur la réalité. En bref, c'est un phénomène psychologique.

2. Pourtant, il ne s'agit pas d'une simple vue de l'esprit, puisque, justement, on peut prendre un mirage en photo. Dira-t-on que l'appareil projette ses désirs sur la réalité? Personnellement, je ne suis pas une brute en psychologie, mais j'imagine qu'il ne doit pas se passer grand chose dans la tête, ou plutôt dans l'objectif d'un appareil photo numérique! D'ailleurs, on parle bien d'un "objectif". Cela doit sans doute signifier que c'est la partie de l'appareil qui permet de voir et de montrer l'objet (ici, un mirage dans le désert). Mais c'est aussi l'objectif qui s'oppose au subjectif; à ce qui est propre à la psychologie d'un individu ou d'un "sujet". Aucun désir ne saurait expliquer le fait qu'on ait pu prendre un mirage en photo. C'est donc qu'il s'agit d'un phénomène bien réel, non pas psychologique (ou subjectif), mais physique (ou objectif). Ainsi, dans le dictionnaire, on définit l'illusion comme une "apparence dénuée de réalité". On croit voir une étendue d'eau, alors qu'elle n'existe pas. Et si l'on avance vers elle, on se rendra compte qu'il n'y a rien. Donc, l'étendue d'eau n'existe pas ("There is no spoon", comme dirait Néo dans
Matrix). Néanmoins, les lois de la physique et en particulier, les lois de la réfraction de la lumière, permettent d'expliquer ce phénomène qui n'a rien à voir avec le désespoir ou la dépression nerveuse de celui qui le perçoit.

3. C'est René Descartes qui a énoncé les lois de la réfraction de la lumière qui expliquent en partie le phénomène des mirages. Et c'est justement lui qui, au cours de ses Méditations Métaphysiques, fait de ce phénomène un argument qui reprend une vieille idée de la tradition philosophique, selon laquelle les sens sont trompeurs. C'est la réfraction de la lumière qui explique aussi le fait qu'une paille dans un verre d'eau paraît brisée, etc. C'est ainsi que le dictionnaire finit par définir l'illusion comme une "erreur de perception". Or, de la caverne de Platon à la Matrix des frères Wachowski, on n'a cessé de montrer que si les sens étaient trompeurs, alors, l'ensemble du monde que l'on perçoit grâce à eux (tout ce que l'on voit, touche ou entend) peut ne pas exister. Dès lors, on se demande: "le monde existe-t-il?", "La réalité est-elle bien réelle?", et autres questions adolescentes qui émerveillent tous ceux qui commencent la philosophie.

4. Mais la vraie question n'est pas là; le vrai préjugé que le phénomène du mirage permet de remettre en question, c'est l'idée selon laquelle la perception du monde serait donnée par les sens. Autrement dit, il n'y aurait qu'à ouvrir les yeux pour voir le monde tel qu'il est. Mais en fait, ce ne sont pas les sens qui nous trompent: ce ne sont pas mes yeux qui me font voir une étendue d'eau. Comme on l'a dit, le mirage est un phénomène réel qu'on peut prendre en photo. Quand on voit ce vague reflet au loin, on ne fait donc aucune "erreur de perception", ou plutôt, on voit ce qu'on voit. Mais est-ce que ce sont mes yeux qui me disent qu'il s'agit d'un point d'eau? D'une oasis? D'une paille brisée? Non. C'est l'interprétation que fait mon esprit de cette image. Si l'on prend un homme assoiffé et un autre qui ne l'est pas, il est certain que les deux verront la même chose (tout comme l'objectif de l'appareil photo). Seulement, l'un pense et croit qu'il s'agit d'un point d'eau, tandis que l'autre pense et sait qu'il s'agit d'un phénomène lumineux.

En bref, comme le pense Descartes, ce n'est pas par les sens, la vue, le toucher que l'on perçoit la réalité. C'est aussi par la pensée. Et quand je dis que j'entends une voiture passer, ce que je dis percevoir va bien au-delà de ce que j'entends. J'entends seulement un son ou un bruit. A partir de là, je l'interprète comme étant le bruit d'un moteur, autour duquel il y aurait une voiture, etc. Pour percevoir les choses du monde, il ne faut pas seulement les voir, mais aussi le penser.