dimanche 28 février 2010

Capillotracter

Capillotracter v. tr. établir des raisonnements reposant sur des corrélations abacadabrantesques

Le verbe capillotracter n'est, à ma grande surprise, pas encore reconnu par Robert. Profitons-en. N'en déplaise aux amateurs de fakirisme, le capillotractage ne consiste pas à soulever des charges lourdes à la seule force de son cuir chevelu, par l'intermédiaire de ses cheveux noués en tresse et affublés d'un croc de boucher ou de tout autre ustensile destiné à l'accrochage de la charge susdite, activité fort louable au demeurant, même si l'on n'en distingue que faiblement l'intérêt. On dit d'un raisonnement qu'il est capillotracté, c'est-à-dire tiré par les cheveux, lorsqu'il repose sur des analogies douteuses ou des corrélations discutables. Ainsi, à n'en pas douter, le raisonnement qui avait conduit certain député à proposer l'exemption de la taxe carbone pour les nains était-il manifestement capillotracté. Tellement que je n'en dors toujours pas la nuit à force de chercher la logique implacable qui avait pu conduire à cette proposition, qui fut en son temps adoptée en première lecture à l'assemblée, faut-il le rappeler.

Il convient de noter que la racine des cheveux a par ailleurs donné naissance à un autre mot qu'existe pas (et qu'on utilise quand même, mais moins), le savoureux tétracapillisécateur qui désigne un coupeur de cheveux en quatre. Le capilliculteur, en revanche, est, et on peut le regretter, reconnu par Robert, qui n'indique pas cependant si la paternité en revient ou non à Pierre Desproges.

mercredi 24 février 2010

Réduction de la prime à la casse: le bonheur consiste-t-il à consommer?

Essai de philosophie créaliste

Nouvelle du jour : la consommation a baissé en janvier par rapport au mois de décembre : -27%. C'est très inquiétant, il paraît. Mais certains se rassurent en précisant que cette baisse générale est surtout due à la chute des ventes automobiles (-16,7%), liée à la réduction du montant de la prime à la casse. Ouf !

C'est inquiétant pour tous ceux qui ont pris comme principe filtrant du créel la croissance économique, et croient devoir faire de cette seule partie de la vie sociale le critère absolu du bonheur individuel et collectif. Ainsi, l'INSEE mesure régulièrement la "confiance ou le moral des ménages". Sont-ils heureux ? Déjà, la notion de "ménage" définit le cadre de la famille nucléaire comme la forme évidente et obligée de la vie sociale : les parents, les enfants, le chien, la maison et le crédit qui va avec. Ensuite, il faut savoir de quoi on parle. Confiance en quoi ? Dans la capacité à satisfaire ses désirs ? À les créaliser pour transformer le monde ? Non. Il s'agit en fait de l'opinion plus ou moins positive ou négative que l'on peut avoir sur sa situation financière. La confiance des ménages est mesurée par le niveau de vie que l'on pense avoir, l'opportunité d'acheter (Achetez ce que vous voulez, mais achetez !); il s'agit aussi de la capacité qu'on pense avoir à épargner ou des perspectives de chômage.

Or, il y a plusieurs mondes : ce qui veut dire que le bonheur de chacun n'a pas nécessairement à se mesurer ou à s'évaluer à travers le prisme de l'unité de mesure qui intéresse ceux qui veulent simplement accumuler de l'argent. Il serait bon de se demander : qu'est-ce que je ferais si j'étais vraiment libre ? C'est-à-dire si j'avais le choix de ne pas régler la valeur et le bonheur de ma vie sur les valeurs du prisme réaliste bourgeois qui voudrait lui donner une forme essentiellement économique et financière.

Pour le monde capitaliste,

- la confiance ou le moral des ménages se mesure exclusivement au rapport que chacun pense entretenir avec l'argent. Ne peut-on pas avoir confiance en d'autres choses ? La capacité de création de nouvelles formes d'organisation ? La confiance dans ses propres facultés de produire une oeuvre, dans la parole de l'autre, etc.

- le niveau de vie est synonyme du nombre de marchandises qu'on a pu ou que l'on pourrait acheter ; la mesure dans laquelle on a pu s'entourer de tous les biens de consommation fabriqués et vendus par la société de consommation : la maison, le 4x4, les voyages, les spectacles, bref, le niveau de vie n'est rien d'autre que l'argent dont on dispose. Est-ce bien ça, un "niveau de vie" ? N'est-ce pas autre chose, si l'on accepte la définition créaliste de la vie comme capacité à créer des formes (Luis de Miranda) ? Il n'y a aucun niveau de vie, ou il est plutôt réduit à zéro pour tout le monde, lorsqu'il consiste simplement à accumuler toujours les mêmes objets, sans jamais redéfinir ce qu'on peut espérer. Niveau de vie = niveau économique. Et le niveau culturel ? Avoir ou pas de l'imagination, de la volonté ? N'est-ce pas ma capacité à résister qui peut plus justement me permettre d'évaluer mon niveau de vie ? Dans quel mesure suis-je en vie ? Est-ce que je bouge encore ?

- le seul pouvoir dont dispose l'individu est le pouvoir d'achat. S'agit-il d'un pouvoir ? Ce serait plutôt la capacité à se soumettre à ce modèle du monde capitaliste. Dans ce monde particulier qui voudrait se donner l'image du seul monde possible (ce qu'on appelle alors le réel), l'individu ne peut exister que comme consommateur, et c'est sans doute la raison pour laquelle on ne mesure son bonheur qu'à son rapport à l'argent et son pouvoir à sa capacité d'acheter (des produits manufacturés). Pour moi, je ne vois pas en quoi l'achat est un pouvoir...

- la richesse n'est rien que le nombre d'objets manufacturés et des services qu'on a produits. On parle alors de produire des richesses, de redistribuer les richesses. Mais là-encore, c'est une vision et une définition du terme réduite à son sens économique. Tout le monde aura compris que la richesse peut se définir de biens d'autres manières. En quoi fabriquer plus de marchandises est-il une richesse ?

Finissons en disant ce qu'on avait à dire : on mesure le bonheur, la richesse et le pouvoir des individus du monde capitaliste (qui se donne le nom de réel) au seul domaine de la production/consommation. Or on peut très bien consommer parce qu'on n'a pas le choix : celui qui achète une voiture n'a pas de pouvoir, il se soumet à la société de l'âge automobile qui a éloigné les cités dortoirs des lieux de travail. Et puis, c'est bien souvent parce qu'on est déprimé, désespéré et vide que l'on consomme. Celui ou celle qui est malheureux, appauvri, asséché de l'intérieur, cherchera sans doute à s'oublier dans un bain de foule du samedi après-midi, une séance d'achats compulsifs, qui doit compenser un manque de tout. Je ne sais pas quoi faire de moi, alors, j'achète, avant de découvrir que je ne saurais pas même quoi faire de tous ces objets que j'ai achetés.

Pouvoir, croissance, richesse, confiance, moral. Toutes ces catégories que l'on pourrait effectivement considérer comme constitutives du bonheur de l'individu et de la société sont entièrement vampirisées, dans leur sens et leur but, par le discours capitaliste, qui donne à chacun la certitude qu'il ne peut pas lui-même les définir autrement. Ici comme ailleurs, il serait donc bon de se demander : que ferais-je si j'étais vraiment libre ? C'est-à-dire, comment devrais-je penser, avec justesse, ma richesse, mon pouvoir, ma confiance et mon bonheur ?

La richesse économique, le pouvoir d'achat, le PIB par habitant... autant d'unités de mesure données au regard de chacun pour l'empêcher de voir la vérité.

- Mais quelle vérité ?

- Que tu es un esclave !

dimanche 21 février 2010

Emdéhère

Emdéhère interj. interjection exprimant une hilarité propre à déployer la gorge

De même que plussoyer, emdéhère est un mot qu'existe pas issu des fora du monde 2.0. Cette interjection sert le plus souvent à réagir à un commentaire fait par l'un des intervenants précédents d'un forum. Si l'on plussoie lorsque l'on est simplement d'accord avec ce commentaire, il convient de s'exclamer "emdéhère" afin de marquer le fait que l'on goûte fort l'humour dont celui-ci était teinté. Si vraiment, mais alors là vraiment, on en est à se tenir les côtes, alors le bon goût incite à gratifier d'un emphatique "pétédéhère" le commentateur qui sentira ainsi son moment de gloire humoristique arrivé.

L'internaute étant par nature, on l'a déjà vu, relativement fainéant, il lui arrive d'abréger ces marques d'enthousiasme en mdr (qui serait, selon certains observateurs, la traduction de l'anglais lol et serait en fait l'acronyme de "mort de rire") ou ptdr. Mais c'est bien emdéhère qu'il convient d'écrire.