jeudi 23 décembre 2010

Conte de Noël (chapitre 2)

La neige continuait à tomber mais il n’y avait aucun bruit. Le silence. On entendait tout juste le souffle du vent qui balayait un peu le sol enneigé sous forme de poussières. Soizic sentit d’abord que des gouttes froides lui mouillaient le visage. Elle ouvrit un peu les yeux et découvrit que de la neige tombait sur ses joues, sa bouche, son front. Sa vision du monde se réduisait un peu à la nuée de flocons blancs qui venaient mourir sur sa peau car il n’y avait pas un bruit. Allongée sur la neige humide, elle se sentait incapable de faire le moindre mouvement. Un peu abrutie, elle réussit quand même à tourner la tête sur le côté pour tenter de savoir où elle se trouvait. Son regard se porta d’abord sur un brin d’herbe situé tout à côté de sa tête qui sortait un peu de la neige. Au-delà, il n’y avait que du blanc et pas un bruit. Seule au monde, Soizic crut d’abord apercevoir sa voiture un peu plus loin. Mais peu à peu, la neige qui continuait à tomber en silence recouvrit l’épave, jusqu’à la faire disparaître. Plus aucune forme ne se distinguait au milieu de ce paysage blanc, sinon quelques arbres aux branches rachitiques, là-bas. Et une ombre qui s’approchait.

Soizic avait d’abord cru voir les arbres bouger. Mais il lui apparut de plus en plus clair qu’une silhouette à la forme vaguement humaine se détachait du reste. D’abord assez lointaine et trouble, elle avançait sans faire aucun bruit. Elle ne marchait pas vraiment, mais semblait plutôt glisser sur le sol. Soizic sentait bien qu’elle aurait pu être effrayée si elle en avait eu la force. Mais elle demeurait incapable du moindre mouvement. Elle s’abandonna donc à son sort et laissa la chose venir à elle. A mesure que l’inconnu s’approchait, ses traits se précisaient et Soizic finit par reconnaître son père. Pour la première fois, il lui souriait, si bien qu’il ressemblait à peine à celui qu’elle avait connu.

Papa ?

Il souriait mais ne disait rien, comme s’il lui était impossible de parler ou plutôt, comme si un mur invisible l’empêchait de se faire entendre. Et puis, au lieu de rejoindre Soizic étendue sur le sol, il la contourna un peu avant de poursuivre son chemin. Elle, toujours engourdie, ne parvint pas à tourner la tête pour le suivre du regard. Elle s’est bien crue abandonnée. Là, le petit brin d’herbe qui apparaissait encore tout près d’elle se mit à croître. D’abord de manière imperceptible, puis de quelques centimètres, jusqu’à atteindre une hauteur d’homme. Sans trop savoir pourquoi, Soizic saisit la plante grimpante grâce au peu de force qui lui restait. La tige l’aida ainsi à se relever, jusqu’à ce que ses pieds quittent le sol. Elle finit par s’envoler et montait vers le ciel, accrochée à l’herbe comme à la ficelle d’un ballon.

La plante cessa de grimper au moment où Soizic arriva au niveau des nuages. A peine étonnée, elle lâcha son bâton de pèlerin vivant pour poser le pied à terre. La sensation de marcher sur un nuage lui parut familière. Le sol craquait sous ses pieds comme de la neige. Après s’être ainsi assurée de son pas, Soizic releva la tête pour regarder l’horizon et aperçut son père, le regard serein et le sourire tranquille. Elle pressa un peu le pas et crut bien se retrouver dans le fameux générique de l’émission de son enfance où un papa, une maman et leur fille aux cheveux blonds tombent du ciel dans la douceur du bonheur familial. Mais à mesure qu’elle s’approchait de son père, elle remarquait quelques changements d’expression sur son visage. Il plissait les yeux et fronçait un peu les sourcils, comme pour régler sa vue. Il commençait tout juste à distinguer les traits de Soizic. Dès qu’il la reconnut, il perdit son sourire et afficha l’expression de déception qu’on doit avoir quand on ouvre un cadeau qu’on ne désire pas.


Ah ? C’est toi, s’étonna-t-il. Attends, laisse-moi deviner...Je parie que tu t’es suicidée.

Fin

mercredi 22 décembre 2010

Si la vie est cadeau

Besoin d'un cadeau de dernière minute ? Vous avez du mal à trouver Comment ai-je pu croire au Père Noël , victime de son succès ? C'est dommage, réservez-le pour Noël prochain, mais pour cette fois-ci, une solution alternative s'offre à vous : Si la vie est cadeau, 12 bonnes nouvelles. Et en plus, Paris-Normandie dit que c'est bien :-)

Paris-Normandie du 20/11/2010

lundi 20 décembre 2010

Conte de Noël (chapitre 1)

– Du café ?

Le coude posé sur la table, Soizic regardait la télé comme quand elle était petite. Rien n’avait changé dans le logis que son père avait quitté depuis longtemps. Il était parti quand Soizic avait dix-huit ans avec Jennifer, une copine de sa classe. Depuis, sa mère vivait seule dans cette maison de ville en brique, collée à d’autres maisons de ville en brique, rue Ledieu, à Amiens. On passait ses journées dans une seule pièce. Toujours la même table branlante qui prenait toute la place, recouverte d’une toile cirée usée par les traces de tasses à café. La pièce était d’autant plus étroite que deux vaisseliers l’encombraient, remplis d’assiettes peintes venues d’alsace. La télé allumée en permanence était décorée d’un napperon et des bibelots en faïence traînaient un peu partout. Un chien rose, un pot de chambre aux formes végétales. En dehors de cette salle, il y avait une cuisine qui sentait le beurre fondu, deux chambres qui puaient la naphtaline et un toilette au carrelage froid, très désagréable pour les pieds nus le matin.

Soizic n’avait jamais aimé cette maison. Une ambiance permanente de dimanche après-midi pluvieux. Quand elle pensait à son enfance, elle se souvenait surtout s’être ennuyée. La seule chose qu’elle avait jamais eue à faire était de regarder la télé. Des heures devant L’île aux enfants quand elle revenait de l’école les soirs de semaine et surtout, Les visiteurs du mercredi, l’émission d’où lui venait son prénom que ses parents avaient choisi à cause de Soizic Corne. Les seuls souvenirs un peu agréables de Soizic étaient dans la télé, comme le générique de l’émission où l’on voyait des personnages animés s’envoler. A force de s’absorber dans ces images, elle était parvenue à oublier la réalité alentours et la vie qui se déroulait dans la maison.

La mère de Soizic ne lui avait jamais montré d’affection. Du moins, elle ne se souvenait pas avoir reçu le moindre baiser. Il lui semblait que cette mère n’avait jamais souri et avait une manière toujours agacée de lui lancer des remarques purement utilitaires ou inutiles : « veux-tu enlever ton coude de la table !» « T’as relevé le courrier ?» Le père de Soizic l’avait un peu battue, même avec une chaîne de vélo, une fois. Elle avait donc été plutôt soulagée quand il était parti et peu affectée lorsqu’il avait fini par mourir d’un cancer quelques temps après. Soizic aussi était plus ou moins partie de la maison, mais pas vraiment. Elle était prof de comptabilité dans un lycée professionnel de Normandie mais rentrait tous les week-ends chez sa mère. Il faut dire qu’elle était seule, sans doute parce qu’elle manquait de charme et de conversation.

– Non, non, pas de café. Je dois y aller de toute façon.

A trente-six ans, elle était déjà une vieille fille. Elle s’habillait comme une mamie avec des robes en laine marron et ses joues étaient gâtées par des couperoses. Tous les week-ends, elle passait son temps avec des vieux, les amis de sa mère. Les seuls rendez-vous intimes qu’elle obtenait étaient ceux de son thérapeute auquel il fallait une semaine pour se remettre psychologiquement d’une conversation avec Soizic. Sa conversation se réduisait à passer en revue tous les gens malheureux qu’elle connaissait plus ou moins. Ceux qui avaient un cancer, la cousine machin qui avait perdu sa fille dans un accident de cheval ou l’amie de sa mère qui commençait à avoir la maladie d’Alzheimer. Quand elle achetait le journal, Soizic se précipitait sur les faire-part de décès pour voir si elle connaissait des gens qui étaient morts et regardait l’âge qu’ils avaient.

Tu ne veux pas un peu de restes de poulet pour ton dîner?

Non, ça va. J’ai une boîte de raviolis. Allez, à la semaine prochaine.

Soizic monta dans sa voiture. C’était l’hiver, un dimanche soir et elle avait bien deux heures de route enneigée pour repartir dans le trou normand où elle travaillait. Mais elle n’avait aucune envie d’y retourner. Elle pleurait tous les matins, même devant ses élèves qui se moquaient d’elle. Toujours dépassée, Soizic enchaînait les arrêts-maladie et sinon, restait le moins possible en classe. Elle traînait dans la salle des profs, se plaignait de migraines, arrivait en retard, partait en avance et ses collègues aussi se moquaient d’elle.

Au volant de sa petite voiture, elle devait donc penser à la semaine qu’elle allait passer. Elle s’est engagée dans une portion de route qui descendait. Comme il y avait un virage, elle n’a sans doute pas vu le camion qui était devant elle. Elle a cherché à éviter le poids lourd en braquant brusquement à droite, et sa voiture est partie dans la ravine en contrebas de la route. La Clio qu’elle n’avait pas fini de payer a dû faire deux ou trois tonneaux dans le fossé. Elle s’est finalement arrêtée sur ses roues comme un chat retombe sur ses pattes, mais le toit était très enfoncé dans l’habitacle. Le cou de Soizic était complètement tordu sur le côté. Etait-elle morte ?

à suivre

jeudi 16 décembre 2010

Interview de Gilles Vervisch sur Europe 1

Entretien avec Pierre-Louis Basse à propose du livre
Comment ai-je pu croire au Père Noël?