samedi 11 juin 2011

On peut être poète et cohérent, bordel ! -2

La dénonciation des incohérences dues à la fainéantise de l'homme de lettres qui tente de la dissimuler sous le pauvre vernis de la liberté du poète est un combat sans fin. On l'a vu ici, même les plus grands se sont rendus coupables d'abjections de ce type. Quelques moins grands aussi, bien évidemment.

Ainsi, le groupe de R'n'B français Tragédie, dans son hommage subtilement mixte au Tommy de The Who et au Roméo et Juliette de Shakespeare sobrement intitulé Hey Ho assène sur une musique envoutante ces paroles limpides "Est-ce que tu m'entends ? Hey ho ! Est-ce que tu me sens ? Hey ho ! Touche-moi je suis là, Hey ho, ho ho ho ho ho ho !". Le parallèle avec Tommy est évident, le leitmotiv de cet opéra rock étant le fameux "See me Feel me Touch me Heal me". Jusqu'ici rien de bien incohérent ne survient dans l'analyse du texte de Tragédie, mais le refrain doit être resitué dans le contexte global du propos de la chanson pour qu'on en saisisse bien les tenants et les aboutissants.

Si dans See me feel me la mère de Tommy s'adresse désespérément à son enfant rendu aveugle sourd et muet par le traumatisme de l'assassinat de son père, dans Hey ho le locuteur s'adresse, ainsi que le premier couplet le laisse clairement entendre, désespérement à sa dulcinée derrière sa fenêtre, lui-même étant en bas dans la rue (on voit donc bien ici le parallèle avec Roméo et Juliette) : "Ca fait longtemps, en bas de ta fenêtre, J'appelle vainement mais personne ne répond, Fais juste un signe pour montrer que t'es là Ho yé ho ho ho ho ho". On passera sur l'élision du qu' attendu devant l'en-bas, licence destinée à équilibrer la ryhtmique à l'instar du mythique "j'sais pas q'est-ce qui s'passe" dans le Femme like U de K-Maro, autre figure du R'n'B à la française du début de ce siècle, pour insister sur le sens du texte.

Tel Roméo interpellant Juliette, Tizy Bone (ou Silky Shai, il est difficile de discerner lequel des deux duettistes s'exprime), s'adresse d'en bas de [sa] fenêtre à celle qu'on imagine être sa chère et tendre (et qui, contrairement à Juliette, ne lui répondra pas, et c'est sans doute là qu'est la tragédie). Donc, Tizy Bone est dans la rue, et machine (on ne connait pas son nom) est, a priori, derrière sa fenêtre, dans son appartement. On ne sait pas à quel étage, mais j'imagine qu'elle n'est pas au rez-de-chaussée, car dans ce cas Tizy Bone s'adresserait à elle non pas d'en bas de [sa] fenêtre mais plutôt de devant sa fenêtre. Et c'est là que je m'insurge. Car si l'on comprend bien qu'il lui demande si elle l'entend, voire même si elle le sent, comment peut-il imaginer qu'elle pourrait le toucher ? Même si elle était au premier étage, il lui faudrait des bras de deux mètres, pour le toucher ! Hey ! Ho ! N'importe quoi ! On peut être poète et cohérent, bordel !

1 commentaire:

  1. Il est magnifique de s'insurger ainsi sur la teneur d'une chanson! ô poète, continue de nous émouvoir...

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